- Si vous m'aimez, vous obéirez à mes commandements. Je demanderai au Père de vous donner quelqu'un d'autre pour vous aider, l'Esprit de vérité, afin qu'il soit toujours avec vous. Le monde ne peut pas le recevoir parce qu'il ne peut ni le voir ni le connaître. Mais vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure avec vous et qu'il est en vous. Jean 14, 15-17.

7. Déicide

La mort de Dieu


... « Ou est Dieu? Criait-il, je veux vous le
dire! Nous l'avons tué-vous et moi! Nous tous
nous sommes ses meurtrier! Mais comment
avons-nous fait cela? » ...
F. NIETZSCHE, Le gai savoir, § 125.


      Les symptômes de la crise spirituelle qui secoue le monde d'aujourd'hui ont été perçus depuis longtemps. A Leibniz ils paraissaient, au plus tard dès 1703-1704, si menaçants qu'ils concluait à la fatalité d'une révolution européenne. Le philosophe qui, dans les temps modernes, a fait le plus grand cas des doctrines de ses devanciers (Cf. BOUTROUX, E., Introduction à la Monadologie de Leibniz, Paris, Delagrave, p. 28.), a été également celui dont le regard pénétrait le plus profondément dans l'avenir. On crut d'abord qu'il avait prévu la grande révolution française. On parlait de ce qu'on avait vu. C'était prendre une étape pour la fin. Nous savons à présent que la vue portait plus loin et que ses inquiétudes ne se réalisent que de nos jours.

      Le germe de la crise se trouve selon Leibniz dans les idées qui, pouvant influer sur les moeurs et la religion, déterminent le comportement quotidien des hommes. Vraies, elles sont bienfaisantes; fausses, elles sont néfastes. Au nombre de ces idées vraies, il compte particulièrement celle de la « providence d'un Dieu parfaitement sage, bon et juste » et celle de « l'immortalité des âmes ». Il concède qu'il y a des hommes d'un naturel si excellent que leur vie reste digne et exempte de vices, même quand leurs conceptions sont erronées. C'est surtout le cas quand leurs erreurs résultent de la spéculation et sont pour ainsi dire désintéressées. Vivante, l'erreur ne s'arrête pas chez son auteur, elle va toujours augmentant. Le plus souvent, elle devient déjà malfaisante chez les disciples et les imitateurs qui lâchent les brides que leurs maîtres tenaient encore fermement dans la main. Car il est des hommes d'un naturel moins bon qui agissent mal dès qu'ils ont perdu la crainte de Dieu et des conséquences lointaines de leurs actes. Il en est aux passions brutales, d'un naturel dur et ambitieux, que rien n'arrêtera si leur plaisir ou leur avantage leur commande de « mettre le feu aux quatre coins de la terre ». Mais tout s'aggrave dans le monde quand les idées fausses passent des penseurs aux hommes d'action, aux « hommes qui règlent les autres et dont dépendent les affaires », quand les fausses théories se glissent « dans les livres à la mode ». Alors tout contribuera à faire mûrir « la révolution générale dont l'Europe est menacée » (LEIBNIZ, Nouveaux Essais sur l'Entendement humain, Théophile (Leibniz) à Philalèthe (Locke), livre IV, ch. 16.)

      Toute son intelligence des conditions psychologiques et sociologiques propres à la vie de l'esprit n'a pu empêcher le problème du cataclysme européen d'en devenir l'un des principaux artisans et précisément dans le domaine où il s'est donné tout entier pour faire obstacle à ce qu'il voyait approcher.


I. SÉCULARISATION DU CHRISTIANISME


      Leibniz marque un point névralgique dans l'histoire de la pensée allemande. Depuis Luther, personne n'a été de sa taille. Il fait la somme du passé et pose les fondements de ce qui va venir. Penseur religieux, il souffre dans le plus profond de son être, du nouveau schisme et s'efforce, comme nul auparavant et personne après lui, d'unir ce qui est séparé: les chrétiens, les nations et surtout foi et raison, car c'est dans l'esprit et plus spécialement aux confins de la métaphysique et de la religion que tout se décide. Convaincu qu'aucune religion ne peut s'égaler au christianisme, priant Dieu un et trine, cherchant, lui, le luthérien d'Allemagne, à gagner Bossuet à la cause oecuménique, oeuvrant en tout, dans la métaphysique, dans la science, dans la diplomatie, pour la gloire de Dieu et le salut de son âme, il mourra seul, presque oublié. Après sa mort, la pensée se développera à l'encontre de ses intentions tout en suivant le sillage qu'il a lui-même tracé. Il a voulu justifier le christianisme. Il l'a miné. L'intelligence la plus pénétrante, la plus universelle qui soit, a travaillé à mettre en évidence le caractère rationnel des mystères chrétiens. Un siècle de la pensée allemande - et quel siècle! - accepte le principe et il ne reste plus qu'un christianisme raisonnable. Du christianisme, Leibniz retire ce qui lui est essentiellement propre, scandaleux, le **** (lettres grecques) dont parle l'apôtre. Il a voulu introduire les vérités révélées dans le champ de la raison, il a rationalisé, humanisé, naturalisé, il a rendu profane la révélation et ses mystères, il les a effacés. Il a des précurseurs, mais c'est avec lui que commence la nouvelle époque, celle de la sécularisation du christianisme en Allemagne.

      Et d'abord, Leibniz s'oppose absolument à la séparation totale de la religion et de la philosophie telle que l'ont pratiquée la Renaissance, l'Humanisme et les Cartésiens. Il les rapproche l'une de l'autre. mais en les rapprochant, il fait absorber la foi par la raison. Le christianisme comme il le comprend n'est plus la foi, mais un idéalisme religieux, un système métaphysique soumis au seul contrôle de la raison. Il se rappelle parfois qu'on ne peut enlever toute « obscurité » aux mystères, ni les « prouver par des raisons naturelles » (LEIBNIZ, Lettre à Basnage, édit. F. G. Feder, Hannovre, 1805, p. 109.). Il reste néanmoins hanté par « l'ambition... de tout soumettre à la logique » (Jean BARRUZI, Leibniz et l'Organisation Religieuse de la Terre. Paris, 1907, p. 498.). Il fonde la foi sur « un acte d'entendement » (Chr. VON ROMMEL, Leibniz und der Landgraf Ernst von Hessen. Rheinfels, Frankfurt, 1847, p. 277.). Il déclare la raison « lumière suffisante pour guider nos actions ordinaires, et pour nous mener à la connaissance de Dieu et à la pratique des vertus » et finalement: « principe d'une religion universelle et parfaite qu'on peut appeler avec justice la Loi de la nature » (LEIBNIZ, Inédits, cité par Baruzi, p. 487.).

      En relever le seul aspect logique, discursif, rationaliste, c'est risquer, il est vrai, de mal interpréter la pensée de Leibniz (Cf. BARUZI, p. 496 et H. HEIMSOETH, Leibniz' Welanschauung als Ursprung seiner Gedankenwelt, Kantstudien. Berlin, 1917, p. 376.); on ne saurait pourtant surestimer son exaltation de la faculté de raisonnement. C'est par la seule raison « que la voix de Dieu révélée se doit justifier » (LEIBNIZ, Lettre à Morell, 29-9-1698.). La raison élargit son domaine. Elle s'apprête à l'emporter sur tout obstacle en religion et en métaphysique comme elle a triomphé, au XVIIè siècle, sur plus d'une énigme de la physique et des mathématiques. Elle prend des dimension demi-divines. C'est par elle que l'homme peut se comparer à Dieu. L'âme humaine est « comme une petite divinité dans son département » (LEIBNIZ, Monadologie, 1714 § 83). Elle « imite dans son département et dans son petit monde, où il lui est permis de s'exercer, ce que Dieu fait dans le grand » (LEIBNIZ, Principes de la Nature et de la Grâce, 1714, § 14.). Car, résume Émile Boutroux: « C'est un seul et même entendement, une seule et même essence qui, chez Leibniz, constitue l'être de Dieu et l'être des créatures: la différence ne porte que sur le degré du développement » (E. BOUTROUX, p. 118).

      Ce que Leibniz, le sage, du monde des honnêtes gens avait exprimé dans quelques opuscules, quelques articles de revues, quelques lettres, d'autres allèrent le répandre, le systématiser, le scolariser, le banaliser et l'affadir aussi, dans les universités et dans les magazines littéraires; et ce fut la philosophie des lumières en Allemagne, l'AUFKLAERUNG, de son nom propre. Rationaliste, elle l'est en Allemagne aussi bien que dans les nations voisines, avec une différence capitale cependant. Elle a, aux dires de Kant lui-même, « son point central dans les choses religieuses » (KANT, Was ist Aufklärung? (1784).). Elle se trouve, comme Hegel le soulignera, « du côté de la théologie » et non pas, comme par exemple en France, « contre l'Église » (HEGEL, Vorlesungen über die Philosophie der Geschichte, éd. Meiner, Leipzig.). Aucun des penseurs représentatifs du XVIIIè siècle allemand ne songe à « écraser l'infâme ». On ne repousse pas, on englobe. On ne retranche pas, on envahit. On continue l'oeuvre de Leibniz en rationalisant les mystères, en réduisant la religion à la loi naturelle. Aucun sentiment hostile envers Dieu ou la religion n'anime ces auteurs. Ils ne sont ni antireligieux, ni areligieux. Ils se croient à l'intérieur de la religion chrétienne, cependant à l'âge où ils vivent, ils pensent que l'homme devenu majeur ne doit « se servir que de sa propre raison » (KANT, ibid.). Mais chez Leibniz, la raison était au service d'une nature vraiment religieuse, brûlant de participer à Dieu par amour. Rien de l'élan mystique chez Christian Wolff (1679-1754) ni rien du mens divinator d'Horace. Là, où Leibniz ne se résigne qu'à grand regret à ne pouvoir aller plus loin, Wolff détermine abstraitement: « Il suffit pour la religion révélée que la raison n'affirme rien qui lui soit contraire » (WOLFF, Vermünftige Gedanken von Gott. § 381). C'est une longue enjambée qu'il fait au delà de Leibniz. Il ne s'agit plus de pénétrer les vérités révélées par la raison, mais de les mesurer à la raison, de voir si la Révélation divine respecte bien les règles de la nature et - le Praeceptor Germaniae devient pédant - si elle observe les règles de la rhétorique (Cf. HETTNER, Geschichte des Deutschen Literatur im 18 Jhdt. Leibniz, 1928, éd. G. WITKOUSKI, I, p. 136.) L'idéalisme religieux de Leibniz se perd, et ce qui demeure n'est qu'une théologie naturelle et rationaliste.

      Dans les chaires des universités, dans les tracts, dans les livres et les revues, théologiens, philosophes, historiens, philologues et vulgarisateurs reprennent les idées que Leibniz a lancées et que Wolff a traduites en langue allemande. On ne part plus de la Bible, mais de la raison. La langue latine est abandonnée comme instrument de la pensée et remplacée par la langue allemande. En 1687, pour la première fois un cours universitaire est affiché en langue allemande. C'est à Leipzig, ville de Leibniz. L'Allemagne intellectuelle passe le LIMES et se déplace vers l'est. La jeune Allemagne du centre, de l'est et du nord obtient voix au chapitre de la république des lettres et fera la majorité pendant plus d'un siècle. A Maître Eckhart (1270-1328?) et Martin Luther (1483-1546), à Jacob Boehme (1575-1624) et Angelus Silesius (1624-1677) Leibniz fait suite (1646-1716). Après lui surgit une pléiade comme on n'en avait jamais vu en Allemagne. Ils viennent en foule de l'Allemagne romanisée. A nouvelle pensée un nouveau monde. Wolff en est, ainsi que Kopstock (1724-1823) et Kessing (1729-1781), Kant (1724-1804), Hamann (1730-1788), Herder (1744-1803), Fichte (1762-1814) et Schleiermacher (1768-1834), les frères Humboldt, Wilhelm (1767-1835) et Alexandre (1769-1859), les frères Schlegel (Auguste Wilhelm (1767-1845) et Frédéric (1772-1829), Novalis (1772-1802), Tieck (1773-1853), Jean Paul Richter (1763-1825), Schopenhauer (1788-18860). Et les très grands de l'ouest et du sud s'en vont pour les rejoindre à Jean, à Weimar, à Leipzig, à Berlin. Ainsi Goethe (1749-1832), Schiller (1759-1805), Hegel (1770-1831), Schelling (1775-1854), pour quelque temps Hoelderlin (1770-1843) et Clément (1778-1842) et Bettina Brentano (1785-1859). Fait curieux, la plupart sont protestants, beaucoup d'anciens pasteurs et fils de pasteurs; il y a très peu de convertis catholiques, encore moins de catholiques nés, et ceux-ci n'apparaissent qu'avec le romantisme. Ecclesia depopulata peut-on dire, si l'on compte les grands esprits du XVIIIè siècle en Allemange. Hors Schleiermacher, pas un théologien supérieur. Pas de grande controverse théologique conduite par des théologiens. L'Allemagne est devenu le pays des penseurs et des poètes. Car peu à peu le monde des lettres avait été conquis par l'Aufklärung. La raison absorbant la foi, élimine les mystères l'un après l'autre, et, d'abord, celui que les hommes des lumières considèrent comme le plus extra-ordinaire des miracles, la Révélation, l'Écriture Sainte.

      Leibniz lui-même avait déjà pris ses distances vis-à-vis de la Bible qui lui semblait être un fondement fragile de la religion. Où retrouver celle-ci au cas où le livre viendrait à se perdre? « Si la religion dépendait des livres, le livre étant perdu, elle se perdrait aussi, lorsqu'elle n'est point fondée en raison. Car en cas qu'elle y est fondée, elle ne saurait jamais périr entièrement, et quoiqu'elle pourrait être corrompue il y aurait toujours moyen de la ressusciter » (LEIBNIZ, Inédits, cit. Par Baruzzi, p. 487.). Ainsi la raison marque un point de plus. Elle est une base meilleure pour la religion et autrement permanente que l'Écriture Sainte. - A son tour, Wolff enlèvera un privilège à la Révélation, celui d'enseigner la distinction entre le bien et le mal. La raison suffit. C'est elle qui nous enseigne, et avant la Bible, « ce que nous devons faire et omettre » (WOLFF, Vermünftige Gedanden von Gott.) - Hermann Samuel Reimarus (1694-1768) ira plus loin encore. Philologue, orientaliste à Hambourg, il applique les règles de la raison suffisante et de la contradiction, à l'interprétation du texte sacré. Examen audacieux en son temps. La religion devant être bonne et sage, les dépositaires du message divin doivent l'être aussi. Mais qu'on regarde donc les personnages de l'Ancien Testament! Ils provoquent l'indignation de tout homme aimant l'honnêteté et la vertu. L'Ancien Testament ne peut donc pas être divin. Ce n'est qu'une histoire humaine, un livre de Juifs. Et le Nouveau Testament? L'appel évangélique à la conversion est d'une très haute morale. Seulement, le royaume promis aux convertis n'est que le royaume terrestre des Juifs. Aussi est-il clair pour Reimarus que le christianisme entier repose sur de faux préceptes. D'autres notions religieuses se dissolvent dans ses syllogismes. Quel Dieu étrange! Il voit les dangers du péché menaçant l'homme et ne les écarte pas! Et le péché originel? Non-sens! La faute de l'un imputée à tous les autres. Et la rédemption? Non-sans aussi! Le mérite de l'un attribué à d'autres.

      Cependant, fait caractéristique pour ce siècle, cette critique, écrite entre 1744 et 1768, n'a jamais entièrement vu le jour. L'auteur s'est gardé de la rendre publique, jugeant qu'il ne faut pas « répandre ses idées à l'instar des apôtres, avec véhémence et en troublant les décrets des autorités », qu'il faut plutôt garder secrètes de telles pensées, « jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de frayer à la religion raisonnable, un chemin vers la liberté publique et inviolée » (Cité par H. HETTNER, I). Lessing, respectueux lui aussi de son lecteur- car un sage « ne peut pas dire ce qu'il vaut mieux taire » (LESSING, Ernst und Falk, Gespräche für Freimaurer. Trad. Grappin, Collection Bilingue, Aubier, Paris, p. 53.), - croit pourtant l'heure venue d'examiner la Révélation; il publie quelques extraits de l'APOLOGIE de Reimarus, désormais connus sous le nom de « fragments de Wolfenbüttel ». Ce ne sera qu'un siècle plus tard qu'une âme soeur résumera toute la pensée de Reimarus. L'ouvrage porte le titre: « H. S. Reimarus et son Apologie pour les raisonnables adorateurs de Dieu » (David Friedrich STRAUSS, H. S. Reimarus und seine Schutzschrift für die vernünftigen Verehrer Gottes (1862). ). Il paraîtra en 1862 et son auteur signera David Friedrich Strauss.

      Lessing ne se contente pas d'éditer. Il a quelque chose de plus personnel à donner. A lui aussi, la morale de l'Écriture Sainte paraît grossière et ses conceptions scientifiques en contradiction avec les nôtres. Tout son être frémit. Il n'arrive pas à faire le pont entre la raison et l'histoire. « Voici l'horrible et large fossé qu'il m'est impossible de franchir, en dépit des efforts si nombreux et si sérieux que j'ai tentés pour réussir le saut. Quelqu'un peut-il m'y aider? Qu'il le fasse donc; de grâce, je l'en conjure. Dieu lui vaudra la récompense qu'il aura méritée de moi » (LESSING, Ueber den Beweis des Geistes und der Kraft.). Mais puisque l'aide ne vient pas, porter le coup à la divinité de la Révélation est un devoir de conscience. Hegelien avant Hegel, il abolit la Révélation, et tout ensemble la conserve. La vérité révélée est divine, mais seulement pour un temps. Ainsi la révélation de Moïse pour les Juifs, et celle du Christ pour le second âge, qui fit beaucoup avancer l'humanité et la raison. Un troisième âge s'annonce désormais où « la transformation des vérités révélées en vérités de raison est en fin de compte nécessaire, si elle doit servir les intérêts du genre humain » (LESSING, Die Erziehung des Menschengeschlechts, § 76. trad. Grappin.). Leibniz est bien loin. On n'admet plus que les spéculations puissent être une source de mal, car tout sert le progrès et la vérité, même le mal, même l'erreur. « Ou bien est-ce que le genre humain ne doit jamais parvenir à ces suprêmes degrés de lumière et de pureté? Ne jamais y parvenir? - Jamais? Dieu de bonté, garde-moi de ce blasphème! » (LESSING, ibid., §§81-82.).

      Foi et raison fondues en un: la Révélation fondue dans l'histoire du dernier quart du XVIIIè siècle, le bilan du développement des rapports du Christianisme avec la raison. Nous ne nous sommes intéressés qu'au mouvement allant directement de Leibniz à Lessing, et le Christianisme en ressort déjà changé, transformé de fond en comble, relativisé. Il l'est à plus forte raison dans l'Aufklärung des vulgarisateurs.

      A partir de 1781 surtout, Kant essaie de se dresser contre la philosophie de son siècle, contre l'insolente confiance de la raison dans ses spéculations et dans un progrès incessant, contre l'humanisme optimiste qui omet de tenir compte du mal dans le monde. Il veut redonner place à la foi et pour ce faire « supprimer le savoir » (KANT: « Ich musste das Wissen aufheben, um zum Glauben Platz zu bekommen ». Préface à la 2è éd. de la Critique de la raison pure, 1787.). Il clame que l'homme a un penchant inné au mal. Mais le philosophe le plus critique ne peut se faire comprendre du siècle de la raison. Il vient trop tard et de trop loin. La première édition de la « Critique de la raison pure » n'est guère remarquée. « La religion dans les limites de la simple raison » lui fait des ennemis dans le camp des « lumières » et pas tout à fait les amis cherchés dans les Églises. La part qu'il fait au mal le rapproche des croyants. Son explication d'autres notions chrétiennes, encore, leur semble une arme contre les nouvelles « lumières ». La Révélation retrouve son importance, les rapports de la religion et de la raison sont mieux équilibrés, de même que les relations entre le christianisme et la morale, entre le penchant au mal et le germe du bien dans l'homme. Mais Kant n'arrêtera pas la sécularisation en cours, car lui aussi est enfant de son temps, réduit au rôle historique du Christianisme, évite de prendre position à l'égard de la divinité du Christ, fonde la foi sur la raison et la religion sur la morale.

      Le jugement sommaire de Heine (HEINE, L'Allemagne depuis Luther, Revue des deux Mondes, 15 novembre 1834, p. 408.) fait tort au philosophe de Koenigsberg et lui assigne un rôle de rebelle qui n'est pas le sien, malgré la révolution copernicienne. Kant est néanmoins un de ceux dont l'oeuvre a contribué à achever l'époque, à la fin de laquelle Heine peut s'écrier: « N'entendez-vous pas résonner la clochette? A genoux!... On porte les sacrements à un Dieu qui se meurt » (HEINE, ibid.).

      En rappelant la réalité du mal, (l'histoire démontre à plusieurs reprises que la raison est généralement trop myope pour le voir (Cf. GUARDINI, R. Der Herr, Würzburg, 1940, p. 139, trad. Lorson, Le Seigneur, Colmar, 1947, p. 000 ), la philosophie religieuse de Kant avait provoqué l'opposition d'un groupe, qui, vers 1770, s'était immortalisé par ses violences contre la raison étriquée, contre les règles qui gênaient, contre le bonheur béat et le progrès automatique d'un monde à la pensée paresseuse et au coeur fatigué. Adversaire de la basse Aufklärung, celle des manuels scolaires et des magazines, ce groupe ne s'éloignait pas pour autant de la haute Aufklärung, celle de Leibniz, de Lessing et de Spinoza. D'où venait donc son hostilité à l'égard de Kant, qui, lui-même, se réclamais de l'Aufklärung? De sa conception de l'homme. Chez Leibniz et Lessing, on observe déjà, sous la critique du christianisme, un nouvel humanisme en fermentation, plus exactement la naissance d'un surhomme. Frédéric Jacobi raconte que Lessing lui dit un jour, à demi souriant, qu' « il était peut-être lui-même l'être suprême et à présent en état d'extrême contraction » (Cité par LEISEGANG, H. Lessings Weltanschauung, Leipzig, 1931, p. 175.). Le « peut-être » disparaît de plus en plus chez les jeunes et fait place à une nouvelle prise de conscience de l'homme. Le titanisme, le culte du génie chez Herder, Goethe, Schiller en témoignent. On préfère le brigand au fil-à-papa, la vie dangereuse aux théories desséchées, la plénitude, l'audace, l'explosion de la force à la prudence. La structure de l'homme craque sous cette respiration. Un nouvel homme est né dont Raison et Vie sont les parents. Il sourit à la nature et à la vie dans toutes ses expressions. Il se penche pieusement sur la petite herbe qui pousse au bord du chemin et il ressent en elle le souffle créateur qui anime tout. Son hymne à la joie porte son baiser au monde entier, et celui qu'il reçoit le transporte dans l'élysée. « Érotisme panthéiste », écrira F. Gundolf (GUNDOLF, F. Goethe, Berlin, 1930, 13è édit. p. 119.). Nous applaudissons l'heureuse formule, mais force nous est de faire des réserves quant à l'expression: « sentiment païen du monde ». Jamais païen pré-chrétien n'eut un tel sentiment du cosmos. Seul le païen post-chrétien en est susceptible, car dix-huit siècles de mysticisme chrétien l'ont nourri, au point qu'il se sent toujours enfant de Dieu, fils et non serf; le divin de l'Évangile, il l'éprouve en lui, il l'éprouve même si fortement et si spontanément que le Père est oublié, que l'infini ne lui paraît être que l'extension du splendide fini, l'éternité l'intensification de l'instant, le transcendant, le véritable immanent. Corps, coeur, terre, tout dans ce monde est divin. Divin est ce qui vit dans ce cosmos, divin l'homme participant à tout, jouissant de tout, être qui se suffit, à qui cette surabondance de richesse extérieure et intérieure peut suffire parce qu'il y met de son âme et de son esprit. Jamais homme ne fut aussi sûr de lui-même, ne s'affirma aussi autonome. Il se frappe la poitrine et sous des noms grecs, - l'antiquité lui offre une expression mieux adaptée à ce qu'il éprouve, - il s'adressa à son créateur: Prométhée à Zeus:

... Je ne connais rien de plus misérable
sous le soleil que vous, les Dieux...
Qui donc m'a secouru
contre l'audace des Titans?
Qui m'a sauvé de la mort,
de l'esclavage?
N'est-ce pas toi qui as tout accompli toi-même
coeur brûlant d'une flamme sacrée...!


(Prometheus, trad., J. Fourquet in: Goethe, Poésies lyriques, Sorlot, p. 29.)


      Cet homme nouveau a renversé les bornes de séparation entre l'ici-bas et l'au-delà. Il pouvait dire avec Lessing que chacun a son enfer dans son ciel et son ciel dans son enfer (Cité par Leisegang, p. 000.). Il s'attribuait tout ce que Satan a de princier, de profond et de lumineux; restait Méphisto, l'agaçant gêneur, le symbole du trop humain qui s'accroche à nos trousses pour le plaisir de nuire et de nous voir échouer dans l'élan qui nous porte au-dessus de nous. Cet homme ne pouvait pas ne pas protester contre la « réhabilitation » du mal qu'essayait Kant. Aussi proteste-t-on à Weimar. Même Schiller, le Kantien, n'est pas satisfait. « Diaboliade philosophique » dit Herder du traité de Kant qu'il qualifie de « roman ». Et Goethe, du camp de Marienbronn, écrit à Herder et à sa femme: « Kant après avoir employé une longue vie d'homme à décrasser son manteau philosophique de maints préjugés salissants, l'a ignominieusement cochonné de la tache du mal radical afin que les chrétiens soient appâtés et qu'ils viennent en baiser le rebord » (7 Juni 1793: ... Dagegen hat aber auch Kant seinen philosophischen Mantel, nachdem er ein langes Menschenleben gebraucht hat, ihn vor mancherleil sudelhaften Vorurteilen zu reinigen, freventlich mit dem Schandfleck des radicalent Bösen beschlabbert, damit doch auch Christen herbeigelockt werden, den Saum zu küssen.). Le classicisme allemand - c'est-à-dire les meilleurs et les plus grands auteurs du Sturm und Drang - réalisent une synthèse entre le christianisme tel qu'il leur est parvenu au milieu du XVIIIè siècle, et le monde grec. « Iphigénie » doit à ce mariage des traits plus chrétiens que grecs. Mais, dans l'ensemble, il ne s'agit pas d'assimiler, une fois de plus, l'antiquité aux vérités chrétiennes. Ce que cherche le classicisme allemand est plutôt une expression « humaniste » pour sa nouvelle vision de l'homme et du monde. L'évangile et l'antiquité lui procurent tous deux des moyens de réussir sa tentative, mais l'homme nouveau ne sait plus faire de distinction de valeur. Le monde instruit de l'Allemagne se voit ainsi offrir un syncrétisme religieux, fait pour des hommes cultivés, mais sans foi. Après la philosophie, les belles lettres se sont émancipées du christianisme.

      Nous ne poursuivrons pas ici le même processus chez d'autres esprits allemands de la même époque, aussi intéressants et symptomatiques qu'ils nous paraissent, ni chez Hölderlin qui appellerait de longs développements ni chez Wilhelm von Humboldt qui semble être le plus profondément paganisé, ni chez Fichte et Schleiermacher, ni non plus dans le romantisme. Nous passons d'emblée au nouveau stade.


II. LIQUIDATION DU CHRISTIANISME


      Tous les mystères de la foi chrétienne ont été sondés par la « raison agressive » (P. HAZARD, La Crise de la conscience européenne 1680-1715. paris, p. 121.) du XVIIIè siècle et, nous l'avons vu, en sont sortis défigurés, désacralisés. Un instant de la vie du Christ, un seul, semblait être protégé contre toute interprétation, contre toute comparaison, à cause de son unicité effroyable et littéralement incomparable. Helgel passe outre. Il intègre l'événement du Calvaire, la mort de Dieu incarné, dans sa dialectique. Le Vendredi-Saint historique devient « vendredi-saint-spéculatif ».

      C'est de ce moment que date, non pas le mot, mais, sauf erreur, l'idée de la mort de Dieu. Il a fallu un christianisme réduit à ce qui est raisonnable et, en même temps des hommes métaphysiciens et religieux, pour qu'elle ait pu naître.

      Hegel l'a mis au jour dans son traité « Savoir et Foi » qui a paru, pour la première fois, en 1802. Un temps nouveau a commencé, et la religion du temps repose sur ce sentiment: « Dieu lui-même est mort ». Ce sentiment est « la douleur infinie » de « l'absence de Dieu ». Il est dur de l'éprouver et de se l'avouer, mais cette « cruauté » est nécessaire, car « la souffrance absolue ou le vendredi-saint-spéculatif » (HEGEL, Wissen und Glaube, 1802. Oeuvres, éd. Glockner, t. I, p. 433.) est la condition de la résurrection. Maintenant tout l'être est englouti « dans la mort de Dieu », l'abîme du néant », mais pour ressusciter « à la suprême totalité ».

      La genèse de l'idée hégelienne est simple: au point de départ, l'expression elle-même. Hegel l'a trouvée dans un cantique populaire protestant. Une pensée de Pascal: « la nature est telle qu'elle marque partout un Dieu perdu et dans l'homme et hors de l'homme » (PASCAL, Pensées, éd. Brunschvicg, n° 271; éd. Strowski, n° 256.), lui a fourni la matière de son interprétation (Cf. K. LÖWITH, Nietzsches Philosophie der Ewigen Widerkehr, p. 39.).

      Jamais en parlant de la mort de Dieu, Hegel n'abandonne le ton grave, douloureux (HEGEL, Phänomaologie des Geistes, éd. Glockner, t. II, p. 571 et 595, trad. Hypolite, t. II, p. 270 et 286.). Une allusion au sentiment éprouvé lui suffit. Pas de psychologie, encore moins de littérature. Il reste bref, constate un fait et en tire les conclusions. C'est un moment à l'intérieur de l'évolution dialectique qu'il constate. Un moment seulement, mais « un moment de la plus haute idée ». Christianisme et vérité restent donc unis. Une forme du Christianisme est morte, mais le christianisme, étant « Esprit », restera.

      De Hegel, l'idée de la mort de Dieu passe directement à Henri Heine (1797-1856). Heine, étudiant à Berlin d'octobre 1821 au mois de mai 1823, a suivi certains cours de Hegel (HEINE, Lettre à Moser, 1-12-1823.), a pris connaissance de son oeuvre et en a discuté avec des amis (Cf. Lettres: 1-4-23; mai 1823; 7-4-1823; 30-9-23; 28-11-23; 9-1-1824; 19-3-1824.) dont Édouard Gans (1798-1839), le premier éditeur de la Philosophie de l'histoire de Hegel. Juif, touché au plus vif par le problème que posait sa religion et sa situation de juif, embrassant la religion protestante pour se procurer le certificat de baptême, exigé des juifs, pour qu'ils puissent entrer dans la fonction publique, Heine fait douloureusement l'expérience d'une religion en désagrégation. Extraordinairement doué pour le sarcasme et le persiflage, il en fait dès l'époque de Berlin un emploi fréquent.

      Le 1 avril 1823, il écrit à Wohlwill: les juifs n'ont « plus la force de porter la barbe, ni de jeûner et ni celle d'être tolérants par haine: voilà le motif de notre réforme ». Mais tout de suite, il commence sa critique du Christianisme, dont « le déclin (lui) devient chaque jour plus manifeste. Voici assez longtemps que cette idée pourrie s'est gardée. Il y a de sales familles d'idées... Si on écrase une de ces idées-punaises, elle laisse derrière elle une puanteur que l'on sent durant des millénaires. Le Chr... est une de ces idées. On l'a écrasé, voici déjà dix-huit siècles et il nous empeste toujours l'air, à nous autres pauvres juifs ».

      Depuis la lettre du 18 juin 1823, des termes irrespectueux non seulement envers le Christianisme, mais envers Dieu, apparaissent dans sa correspondance. Dieu est pour lui le « vieux », « le vieux Baron du Sinaï et le Monarque de Judée », un « vieux Monsieur » dont il craint qu'il n'ait perdu la tête ». Le 26 juin 1823, parlant d'une « aimable jeune fille », il ne peut « pas en vouloir à Dieu le père d'avoir lui aussi trouvé plaisir à une juive ». Après la lecture de Goethe, il déclare n'être « plus un païen aveugle, mais voyant » (à L. Robert, 27-11-23). Quelques semaines plus tard, il jette sur papier ces mots: « Dessèche ma droite, si jamais je t'oublie, Jeroucholayim. Ce sont à peu près les paroles du psalmiste, ce sont aussi toujours les miennes » (à Moser, 9-1-1824), et « je ne suis pas aussi athée qu'on le dit » (à Moser, 21-1-24).

      Signes d'un temps que nous comprenons mieux à travers l'étonnant discours que Jean Paul Richter met dans la bouche « du Christ mort (qui annonce) du haut de l'univers qu'il n'y a pas de Dieu » (C'est dans ce discours que Gérard de Nerval a pris l'exergue « Dieu est mort! Le ciel est vide... Pleurez! Enfants, vous n'avez plus de père! » qu'il a mis en tête de son poème: Le Christ aux Oliviers. Les apôtres y dorment et le Christ s'adresse à eux: ... « Mes amis, savez-vous la nouvelle? J'ai touché de mon front à la voûte éternelle; je suis sanglant, brisé, souffrant pour bien des jours! Frères, je vous trompais: Abîme! Abîme! Abîme! Le dieu manque à l'autel où je suis la victime... Dieu n'est pas! Dieu n'est plus! »... C'est avec intention que nous négligeons ici tous les courants athées hors d'Allemagne, de même que les influences des uns sur les autres. Chacun de nos lecteurs devine que nous parlons d'un phénomène européen. Le badinage de Voltaire avec Dieu, l'oeuvre des Encyclopédistes, le superbe Misanthrope de Diderot, le terme de décomposition que Beaudelaire applique à Dieu, Saint-Simon , Auguste, Compte, Lautréamont, voilà quelques noms sur la route de l'athéisme en France.). L'athéisme est alors un phénomène du jour, grandissant de plus en plus, étrange à la fois par sa violence et par sa nouveauté.

      Signes d'un homme aussi, d'un génie combinatoire qui lie les extrêmes, d'un maître du verbe frappant, d'un affranchi qui se plait à choquer, d'un malade, d'un hyper-sensible, d'un impudent né qui ne laisse point passer l'occasion d'un succès littéraire.

      C'est en 1834, que Heine reprenant le mot sinistre de la mort de Dieu, le lance au grand jour par la Revue des deux Mondes. Heine y parle de la « Critique de la raison pure » de Kant comme « du glaive qui tua en Allemagne le Dieu des déistes ». Il appelle Kant « ce grand démolisseur dans le domaine de la pensée », il compare cette « démolition du vieux dogmatisme » à « la prise de la bastille », il la qualifie de « révolution », un acte « qui surpasse de beaucoup en terrorisme ceux de Maximilien Robespierre ». Il trouve à l'exécuteur Kant une « probité inexorable, tranchante, incommode, sans poésie, toute triviale ». « Si les bourgeois de Koenigsberg avaient pressenti toute la portée de cette pensée, ils auraient éprouvé devant cet homme un frémissement bien plus horrible qu'à la vue d'un bourreau qui ne tue que des hommes ». Mais « cette nouvelle funèbre aura peut-être encore besoin de quelques siècles pour être universellement répandue - mais nous avons, nous autres pris le deuil depuis longtemps. De profundis ». (HEINE, L'Allemagne depuis Luther, Revue des deux Mondes, 15 décembre 1834).

      La différence entre Hegel et Heine est visible. Le fait est le même, mais la pensée douloureuse de Hegel devient ironie destructive chez Heine.

      L'année suivante, 1835, paraît la Vie de Jésus de David Friedrich Strauss (1808-1874). L'indignation est générale. Comme Heine, Strauss est un élève de Hegel. Il ne voit dans l'Évangile qu'un mythe, expression collective de la croyance d'un groupe dans un temps déterminé.

      1841, c'est l'année de « l'Essence du Christianisme » de Ludwig Feuerbach. Encore un élève de Hegel. Il explique Dieu comme une transposition de prédicats humains. Dès 1844 entre en lice Karl Marx. C'est encore un disciple de Hegel; il se réclame en même temps de Feuerbach. Avec lui, le message de l'athéisme atteint la grande masse et ceci exactement à l'époque de l'industrialisation de l'Allemagne, de la concentration de foules immenses dans les villes et surtout dans les centres industriels. Les plus miséreux apprennent presque en même temps que « l'homme est l'être suprême pour l'homme » et que la religion est « l'opium du peuple ».

      Une génération plus tard, Nietzsche (1844-1900) pourra faire la somme des divers athéismes allemandes et clore ainsi l'époque de la civilisation chrétienne en Occident. Ces proclamations de la mort de Dieu entre Hegel et Nietzsche annoncent définitivement la fin du Moyen Age.

      Nietzsche ouvre sa doctrine de la mort de Dieu avec un passage de la « gaya scienza », « Le Gai Savoir ».

      « Bouddha mort, y écrit-il, on montra encore pendant des siècles son ombre dans une caverne; une ombre énorme et effrayante. Dieu est mort; mais tels sont les hommes qu'il y aura peut-être encore pendant des millénaires des cavernes dans lesquelles on montrera son ombre... En nous..., il faut encore que nous vainquions son ombre. » (NIETZSCHE, Le Gai Savoir, n° 108. trad. A. Vialatte, NRF. p. 95.p)

      Heine avait déjà insisté sur la lenteur des hommes à comprendre un tel événement. Nietzsche la souligne dans le premier passage où il parle de la mort de Dieu. Il revient sur cette idée dans l'article devenu célèbre « l'homme fou ».

      « Où est Dieu, criait-il, je veux vous le dire! Nous l'avons tué - vous et moi! Nous tous nous sommes ses meurtriers! Mais comment avons-nous fait cela? Comment avons-nous pu boire l'Océan? Qui nous a donné l'éponge avec laquelle nous avons effacé tout l'horizon? Qu'avons-nous fait en détachant cette terre de son soleil? Où va-t-elle maintenant? Où allons-nous? Loin de tous les soleils? Ne tombons-nous pas, à présent, d'une chute ininterrompue? En arrière, de côté, en avant, de tous les côtés? Y a-t-il encore un haut et un bas? N'errons-nous pas à travers un néant infini? Ne sentons-nous pas le souffle de l'immensité vide? Ne fait-il plus froid? La nuit ne se fait-elle pas toujours plus noire? Ne faut-il pas allumer des lanternes en plein midi? N'entendez-vous pas déjà le bruit des fossoyeurs qui portent Dieu en terre? Ne sentez-vous pas déjà l'odeur de la pourriture de Dieu? - car les Dieux aussi pourrissent! Dieu est mort! Dieu restera mort! et nous l'avons tué! Comment nous consolerons-nous, nous les meurtriers entre tous les meurtriers? Ce que le monde avait de plus sacré, de plus puissant a saigné sous nos couteaux, - qui lavera de nous la tache de ce sang? Avec quelle eau nous purifierons-nous? Quelles fêtes expiatoires, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous? Ne devrons-nous pas devenir nous-mêmes des Dieux, ne fût-ce que pour paraître dignes de l'avoir accompli? Jamais il n'y eut si grande action, - et toux ceux qui naîtront après nous appartiendront, de ce fait, à une histoire plus haute que toute l'histoire du passé! » - Alors l'homme fou se tut et regarda de nouveau ses auditeurs: eux aussi se taisaient et dirigeaient vers lui des regards inquiets. Enfin il jeta contre terre sa lanterne qui se brisa en morceaux et s'éteignit: « Je viens trop tôt, dit-il alors, les temps ne sont pas encore révolus. Cet événement formidable est encore en route, il marche, il n'est pas encore parvenu jusqu'aux oreilles des hommes. Il faut du temps à l'éclair et au tonnerre, du temps à la lumière des étoiles, il faut du temps aux actions, même après qu'elles ont été accomplies, pour être vues et entendues. Cette action vous est plus lointaine que les plus lointaines constellations, - et pourtant vous l'avez accomplie! » - On raconte encore que l'homme fou entra le même jour en diverses églises et y entonna son Requiem aeternam Deo » (NIETZSCHE, Le Gai Savoir, n° 215, trad. H. Lichtenberger, La Philosophie de Nietzsche, Paris, 1923, p. 20-21.)

      Le tueur de Dieu, le couteau et le glaive, la grandeur de l'acte, l'impression du malaise après ce nouveau fait, l'incompréhension de la foule à l'égard de cet événement, le De Profundis et le Requiem aeternam Deo, ce sont des termes trop ressemblants pour qu'on ne soit pas forcé de conclure que Nietzsche a été inspiré par Heine et dans sa pensée et dans ses expressions. Si Nietzsche surenchérit ici ou là, il en garde tout l'essentiel, sans manquer cependant d'y apporter des dispositions nouvelles. Les conséquences de la mort de Dieu ont pour Nietzsche une importance plus grande que pour Heine.

      Mort de Dieu: le mot signifie pour Nietzsche une constatation et une volonté, un acte. Constatation qu'une croyance locale, nationale, temporelle en un dieu s'est éteinte. Constatation d'un phénomène sociologique bien connu, quand on parle par exemple de la disparition de la croyance aux dieux des Grecs, des Romains ou des Germains. Il signifie de plus que le Christianisme n'a point de caractère absolu pour Nietzsche puisqu'il dit expressément que « le Dieu chrétien est mort » (NIETZSCHE, Werke, t. XIII, p. 316.).

      Une des raisons de la mort de Dieu est qu'il s'est rendu ridicule par « la parole la plus impie, - la parole: « Il n'y a qu'un seul Dieu! Tu n'auras d'autre Dieu que moi »! (NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra, liv. III, chap. 8, trad. Bianquis, Aubier, Paris, 1946, p. 361.). Le christianisme serait donc disparu parce qu'il contredisait la vérité du polythéisme.

      Mais « les dieux quand ils meurent, meurent de diverses morts » (NIETZSCHE, Zarathoustra, liv. IV, chap. 6, trad. Bianquis, p. 505.). Dieu est encore « mort de sa pitié pour les hommes » (Id., liv. II, chap. 3, trad. Bianquis, p. 193 et liv. IV, chap. 6, p. 503.), - thème très connu de la philosophie nietzschienne - et « il étouffa de théologie » (NIETZSCHE, Oeuvres, éd. Kröner, Leipzig, t. XII, p. 72). L'effondrement de la religion chrétienne viendrait donc en deuxième lieu de fausses conceptions religieuses et de la théologie!

      Troisième cause, historique, psychologique et esthétique celle-là. Le temps, notre développement, a fait que Dieu est devenu « tout à fait superflu » (Id., t. X, p. 491.). Il est trop oriental pour nous autres Européens, trop justicier pour être aimé, cruel, jaloux, bref, comme Feuerbach l'a déjà enseigné: « ouvrage d'hommes et folie humaine comme tous les dieux » (NIETZSCHE, Zarathoustra, liv. I, Chap. 3, trad. Bianquis, p. 89.). Grâce au christianisme lui-même, notre goût et notre sens psychologique se sont trop affinés pour supporter encore un tel Dieu. L'homme moderne est devenu trop sensible aux défauts de ce Dieu. Aussi a-t-il fallu qu'il mourût.

      « ... Il a échoué dans trop de ses créations, ce potier novice. Mais se venger sur ses poteries et sur ses créatures de ce qu'elles n'étaient pas réussies, - c'était un péché contre le bon goût.

      En matière de piété aussi, il existe un bon goût; c'est ce bon goût qui a fini par dire: « Assez d'un pareil Dieu! Plutôt n'avoir pas de Dieu, plutôt se tailler à soi-même sa destinée, plutôt être fou, être nous-mêmes dieux. » (NIETZCHE, Zarathoustra, liv. IV, chap. 6, trad. Bianquis, p. 505.)

      L'idée de la mort signifie enfin une volonté! (Cf. H. DE LUBAC, Le drame de l'humanisme athée, Spes, Paris, 1944, le meilleur exposé des problèmes de l'athéisme moderne qui soit.) C'est ici que nous nous trouvons en face de l'originalité de la pensée athée de Nietzsche. Dans l'histoire de la pensée allemande jusqu'à 1881-82, Nietzsche est le premier et le seul à vouloir que Dieu soit mort. Il y a dans son oeuvre un « meurtrier de Dieu » (NIETZSCHE, Zarathoustra, liv. IV, chap. 7, trad. Bianquis, p. 510). La valeur, et par conséquent l'amour, de la vie contredisent la foi en Dieu. « La notion de Dieu » est jusqu'à présent la plus grande objection contre l'existence » (Dasein) (NIETZSCHE, Oeuvres, éd. Kröner, t. VIII, p. 101), plus sûrement encore « Dieu à la croix est une malédiction sur la vie » (Id., t. XVI, p. 392). Aussi Nietzsche se révolte-t-il; il n'admet pas la présence de Dieu, veut qu'on cesse de croire en lui, veut sa mort.

      Arrivé à ce point de l'oeuvre de Nietzsche, où il faut nous demander s'il y a meurtre et meurtrier, qui assassine et comment? Nous devons constater que l'élan prométhéen, destructeur, déicide, se brise brusquement. Le meurtrier ne sera pas Nietzsche, ni non plus le symbole de sa pensée, Zarathoustra. Ce sera un autre. Un autre? Un « quelque chose ». Zarathoustra, s'avançant dans un vallon que les pâtres appellent « la mort des serpents »

      ... « vit assis au bord du chemin quelque chose qui ressemblait à un homme mais n'avait presque pas forme humaine, un être innommable. Et tout à coup Zarathoustra fut étreint par la grande honte d'avoir vu pareille chose; rougissant jusqu'à la racine de ses cheveux blancs, il détourna les yeux et fit un pas pour s'éloigner de ce mauvais passage. Mais alors la morne solitude prit une voix; du sol montait un gargouillement et un râle, comme l'eau qui la nuit gargouille et râle dans les tuyaux obstrués; finalement ce fut une voix humaine et une parole humaine qui s'exprimait ainsi:

      - « Zarathoustra, Zarathoustra, devine mon énigme. Parle, parle: quelle est la vengeance contre le Témoin?

      Recule, je t'en prie, la glace est glissante. Prends garde que ton orgueil ne se casse la jambe.

      Tu te crois sage, orgueilleux Zarathoustra? Devine donc cette énigme, toi qui brises les noix les p lus dures. Devine l'énigme que je suis. Dis moi, qui suis-je? »

      Mais quand Zarathoustra eut entendu ces paroles, que croyez-vous qui se passa dans son âme? La pitié l'assaillit et il tomba comme une masse, tel un chêne qui a longtemps tenu tête à de nombreux bûcherons et qui tombe d'une chute lourde, soudaine, à la terreur de ceux-là même qui voulaient l'abattre. Mais déjà il se relevait et ses traits se durcirent.

      - « Je te reconnais, dit-il d'une voix d'airain, tu es le meurtrier de Dieu. Laisse-moi passer.

      Tu n'as pu supporter qu'il te vît, qu'il t'eût constamment sous les yeux et te perçât à jour, ô le plus hideux des hommes. Tu t'es vengé de ce témoin. »

      Ayant ainsi parlé, Zarathoustra voulut poursuivre sa route, mais l'être innommable le saisit par un pan de son manteau et se remit à gargouiller en cherchant ses mots. « Reste! Dit-il enfin...

      Tu as devin, je le sais, ce que doit éprouver celui qui l'a tué, le meurtrier de Dieu. Reste! Prends place à côté de moi, tu n'y perdras rien... »

      Zarathoustra reste et l'être innommable continue:

      - Qu'elle vienne d'un dieu ou des hommes, la pitié offusque la pudeur. Et le refus de tout secours peut être plus noble que la vertu trop officieuse.

      Or, ce qu'on appelle vertu aujourd'hui chez les petites gens, c'est la piété - on ne respecte pas un grand malheur, une grande laideur, un grand échec...

      Trop longtemps on leur a donné raison, à ces humbles; c'est ainsi qu'on a fini par leur donner aussi le pouvoir. A présent ils enseignent: N'est bien que ce que les humbles trouvent bien.

      Et la vérité, à notre époque c'est ce qu'a dit ce prédicateur issu du milieu d'eux, cet étrange saint, ce porte-parole des humbles, qui disait de lui-même: Je suis la Vérité.

      C'est ce présomptueux qui depuis longtemps gonfle d'orgueil les petites gens, lui dont l'erreur pourtant n'était pas mince, quand il disait: Je suis la vérité.

      Fit-on jamais réponse plus courtoise à un présomptueux? Cependant, toi, ô Zarathoustra, tu l'as dépassé sans t'arrêter en disant: Non, Non, Non, et trois fois non!

      Tu as signalé son erreur, tu as été le premier à signaler le danger de la pitié - non pour tout le monde ni pour personne, mais pour toi et ceux qui sont de ta race.

      Tu ressens la honte d'être le témoin d'une grande douleur. Et en vérité, quand tu dis: « La pitié nous couvre de son lourd nuage; prenez garde, ô hommes! »

      Quand tu enseignes que tous les créateurs sont durs, que tout grand amour triomphe de sa propre pitié - ô Zarathoustra, je pense que tu t'entends bien aux signes des temps.

      Mais toi-même, prends garde à ta propre pitié. Car une foule de gens se sont mis en route pour venir te trouver, tous les souffrants, les douteurs, les désespérés, ceux qui sont en péril, de se noyer ou de mourir congelés.

      Contre moi aussi je te mets en garde. Tu as deviné le meilleur et le pire de cet énigme que je suis. Tu as deviné qui je suis et ce que je fais. Je connais la hache qui peut t'abattre.

      Mais Lui - il a bien fallu qu'il mourût. De ses yeux qui voyaient tout, il voyait le fond et l'arrière-fond de l'homme, toute sa honte et sa hideur cachées.

      Sa pitié était sans pudeur, il s'insinuait dans les replis les plus immondes, ce curieux, cet indiscret, ce maniaque de la pitié; il a bien fallu qu'il mourût.

      Il me regardait sans cesse; j'ai voulu me venger de ce témoin - ou cesser de vivre.

      Le dieu qui voyait tout et même l'homme, il a fallu qu'il mourût. L'homme ne souffre pas de laisser vivre un pareil témoin. »

      Ainsi parla le plus hideux des hommes. Mais Zarathoustra se leva et se prépara à poursuivre sa route; car il se sentait glacé jusqu'aux moelles... (NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra, liv. IV, chap. 7, trad. Bianquis, p. 509-515.)



      Voilà donc le meurtrier et les raisons de son meurtre.
      Encore une fois, ce n'est pas Zarathoustra qui se fait meurtrier. Il n'explique pas les raisons. Mais en présentant le plus hideux des hommes comme le meurtrier de Dieu, il a assez dit qu'il faut être hideux pour prendre un tel acte sur soi. Il a cependant sa part à ce meurtre. C'est lui qui a enseigné les principes d'où le meurtrier a tiré sa conclusion. Mais ces principes, en les voyant de plus près ne sont-ils pas au fond une protestation contre une certaine pratique religieuse qui abaisse et Dieu et sa créature? Qui prive Dieu de son inexprimable majesté et sainteté? Nombre de textes nous obligent d'interpréter ainsi la pensée de Nietzsche. Une grand part de son indignation dérive d'une conception très haute de Dieu et de l'homme et d'un sentiment authentiquement religieux. Son acte contre l'existence de Dieu n'est donc pas l'acte satanique qui veut que soit détruit ce qui est grand, ce qui est le plus grand. (L'interprétation détaillée de l'athéisme nietzschien aurait ici son point principal. C'est encore ici que devrait avoir lieu la confrontation de la pensée de Nietzsche avec « l'athéisme postulatoire » tel que l'a défini Max Scheler dans Mensch und Geschichte, Zürich, 1929, p. 55.).

      Déjà le fragment sur « l'homme fou » témoignait de la lucidité de Nietzsche à l'égard de ce qui attend le monde et l'humanité après « la disparition de la foi dans le dieu chrétien ». Le même thème revient à plusieurs reprises sous sa plume, tout particulièrement au cinquième livre du « Gai Savoir ». Il prévoit bien ce qui doit venir. Et il veut pourtant que cela arrive parce qu'alors seulement l'homme sera libre pour une vie nouvelle.

      « Le plus grand des événements récents - la « mort de Dieu », le fait, autrement dit, que la foi dans le dieu chrétien a été dépouillé de sa plausibilité - commence déjà à jeter ses premières ombres sur l'Europe. Peu de gens, il est vrai, ont la vue assez bonne, la méfiance assez avertie pour percevoir un tel spectacle; du moins semble-t-il à ceux-ci qu'un Soleil vient de se coucher, qu'une ancienne et profonde conscience est devenue doute: notre vieux monde leur paraît fatalement tous les jours plus vespéral, plus soupçonneux, plus étranger, plus périmé. Mais d'une façon générale, on peut dire que l'événement est beaucoup trop grand, trop lointain, trop en dehors des conceptions de la foule pour qu'on ait le droit de considérer que la nouvelle de ce fait, - je dis simplement la nouvelle, - soit parvenue jusqu'aux esprits; pour qu'on ait le droit de penser, à plus forte raison, que beaucoup de gens se rendent déjà un compte précis de ce qui a eu lieu et de tout ce qui va s'effondrer maintenant que se trouve minée cette foi qui était la base, l'appui, le sol nourricier de tant de choses: toute la morale européenne entre autres détails.

      Nous devons désormais nous attendre à une longue suite, à une longue abondance de démolitions, de destructions, de ruines et de bouleversements: qui pourrait en deviner assez dès aujourd'hui pour enseigner cette énorme logique, devenir le prophète de ces immenses terreurs, de ces ténèbres, de cette éclipse de soleil que la terre n'a sans doute encore jamais connues... Nous-mêmes, déchiffreurs d'énigmes, nous, devins nés, qui attendons pour ainsi dire en haut des monts, placés entre hier et demain, et contradictoirement attelés entre les deux, nous premiers-nés, prématurés du siècle à venir, qui devrions avoir déjà perçu les ombres dont va bientôt s'envelopper l'Europe, d'où vient-il que nous attendons la montée de cette marée noire sans un intérêt véritable, surtout sans crainte et sans soucis pour nous? Serait-ce que nous serions encore trop dominés par l'influence des premières conséquences de cet événement? Car ces premières conséquences, celles qu'il a eues pour nous n'ont rien de noir ni de déprimant, contrairement à ce qu'on pouvait attendre; elle apparaissent tout au contraire comme une nouvelle espèce, difficile à décrire, de lumière, de bonheur, d'allègement, une façon de sérénité, d'encouragement et d'aurore... De fait, nous autres philosophes, « libres d'esprits », apprenant que « l'ancien Dieu est mort », nous nous sentons illuminés comme par une nouvelle aurore; notre coeur déborde de gratitude, d'étonnement, de pressentiment et d'attente; ... voilà qu'enfin même s'il n'est pas clair, l'horizon, de nouveau, semble libre, voilà qu'enfin nos vaisseaux peuvent repartir, et voguer au devant de tout péril; toute tentative est repermise aux pionniers de la connaissance, la mer, notre mer, de nouveau, nous ouvre ses étendues; peut-être même n'y en eut-il jamais été si « pleine » mer. » (NIETZSCHE, Le Gai Savoir, § 343, trad. Vialatte, p. 173-174.)


      Nietzsche entrevoir l'homme qui peuplera le monde après le rejet de la morale chrétienne, il le voit si bien qu'il n'a d'autre nom pour lu que celui du « dernier homme ». Quel est-il?

      « Voici, je vais vous montrer le Dernier Homme.
      « Qu'est-ce qu'aimer? Qu'est-ce que créer? Qu'est-ce que désirer? Qu'est-ce qu'une étoile? » Ainsi parlera le Dernier Homme, en clignant de l'oeil.

      La terre alors sera devenue exiguë, on y verra sautiller le Dernier Homme qui rapetisse toute chose. Son engeance est aussi indestructible que celle du puceron; le Dernier Homme est celui qui vivra le plus longtemps.

      « Nous avons inventé le bonheur », diront les Derniers Hommes, en clignant de l'oeil.
      Ils auront abandonné les contrées où la vie est dure; car on a besoin de chaleur. On aimera encore son prochain et l'on se frottera contre lui, car il faut de la chaleur.
      La maladie, la méfiance leur paraîtront autant de péchés; on n'a qu'à prendre garde où l'on marche! Insensé qui trébuche encore sur les pierres ou sur les hommes!
      Un peu de poison de temps à autre; cela donne des rêves agréables. Et beaucoup de poison pour finir, afin d'avoir une mort agréable.
      On travaillera encore, car le travail distrait. Mais on aura soin que cette distraction ne devienne jamais fatigante.
      On ne deviendra plus ni riche ni pauvre; c'est trop pénible. Qui donc voudra encore gouverner? Qui donc voudra obéir? L'un et l'autre sont trop pénibles.
      Pas de berger et un seul troupeau! Tous voudront la même chose, tous seront égaux; quiconque sera d'un sentiment différent entrera volontairement à l'asile des fous.
      « Jadis tout le monde était fou », diront les plus malins, en clignant de l'oeil.
      On sera malin, on saura tout ce qui s'est passé jadis; ainsi l'on aura de quoi se gausser sans fin. On se chamaillera encore, mais on se réconciliera bien vite, de peur de se gâter la digestion.
      On aura son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit; mais on révérera la santé.
      « Nous avons inventé le bonheur », diront les Derniers Hommes, en clignant de l'oeil » (NIETZSCHE, Zarathoustra, Prologue, chap. 5, trad. Bianquis, p. 61-65.)

      Cet « homme » sera celui de l'époque que Nietzsche désigne du nom de « nihilisme ». Ce dernier homme sera légion. Mais aucun danger, aucune indignation, aucun dégoût, ne fera reculer Nietzsche. Sûr que ce nihilisme est une nécessité inéluctable après la fin du christianisme, qu'il sera peut-être de longue durée mais certainement d'un temps limité, Nitezsche l'appelle de ses voeux car à l'horizon brille la promesse d'une nouvelle ère, d'un nouvel homme.


III. HORROR VACUI.


      Le rationalisme s'opposant à la foi, c'était la caractéristique de la première partie du XVIIIè siècle. La seconde est marquée par la violente opposition du Sturm und Drang irrationaliste aux excès de la raison. Dans le vide spirituel qui fut ainsi creusé entrèrent d'abord le classicisme, puis le romantisme. Les deux mouvement ont pu amenuiser les dégâts causés par la raison raisonnante, ils n'ont pu ni expressément voulu ranimer l'esprit chrétien, et le XIXè siècle s'ouvrit tout normalement par la liquidation du christianisme. De ce qui avait été tout d'abord l'affaire de quelques esprits, les masses s'emparent à partir du milieu du XIXè siècle. L'opposition de la raison et de la religion ou de la raison et de la vie fait place, après la mort de Hegel, à une opposition entre les sciences positives, sciences historiques et naturelles. La métaphysique disparue, les sciences prétendent la remplacer. La physique et la biologie imposent leurs vues, se proposent de résoudre les problèmes qui jusque là étaient du domaine métaphysique. Il est difficile de surestimer le ravage que causent des livres comme les « Énigmes de l'univers (1899) » de Ernest Haeckel. L'historicisme n'est guère moins dévastateur que le biologisme, mais il reste surtout la nourriture d'une minorité, tandis que le biologisme s'adresse aux grandes foules.

      Après Nietzsche et, pour une bonne part, sous son influence, le matérialisme scientiste de la période précédente perd du terrain et commence à faire place à un spiritualisme achrétien sinon antichrétien. Nous n'en voulons pour preuve que les deux poètes les plus réputés du premier tiers de ce siècle: Stefan George et Rainer Maria Rilke. Très différents l'un de l'autre, tous deux d'origine catholique mais éloignés depuis longtemps de la foi, ils continuent le travail de transformation des valeurs transcendantales en valeurs immanentes. Ce qu'ils s'efforcent d'obtenir par l'esprit et la volonté, d'autres, comme par exemple Gerhart Hauptmann, essaient de l'obtenir sur le plan naturaliste et par appel au sentiment social.

      Pour la première fois depuis longtemps, on observe, depuis la fin du XIXè siècle environ, un renouveau métaphysique. Dès les premières années de ce siècle, on pourrait parler d'un retour de l'homme au Dieu vivant. A cet égard F. W. Foester est un des noms les plus célèbres à l'époque de la première guerre mondiale. La philosophie dans ses meilleurs penseurs abandonne le solipsisme et la stérile critique et découvre l'essence, l'être, l'esprit et le concret, la valeur, la personne et la communauté. Au lendemain de 1918 s'ouvre l'une des époques les plus riches de l'esprit allemand. F. W. Foerster s'est frayé un chemin jusque vers la profession de la divinité du Christ. Max Scheler fonde une nouvelle philosophie de la religion par ses analyses de la nature de l'acte religieux. D. v. Hildebrand, Peter Wust, B. Rosenmöller, le P. Pzywara, Th. Haecker sont plus ou moins influencés par lui. Le P. Lippert, Karl Adam, Karl Eschweiler avant ses erreurs, voilà trois noms brillants dans le renouveau des recherches sur l'essence du catholicisme. Romano Guardini annonçait alors le réveil de l'Église dans les âmes et aidait toute une jeunesse à trouver le sens de la responsabilité devant Dieu et devant la conscience. Le magnifique mouvement liturgique animé par Dom Ildefons Herwegen ouvrait des sources qui semblaient fermées pour toujours. Il faudrait nommer des poètes, des artistes, des revues pour donner une petite idée de la vie spirituelle qui manifestait alors le catholicisme. Et de même dans le protestantisme. Karl Barth, Eric Peterson avant sa conversion, Piper, Gogarten, Dehn, Rudolf Otto font partie de ces théologiens qui ont donné une nouvelle direction à la science sacrée de l'église luthérienne et réformée. Et hors des deux églises une philosophie ouverte à la plénitude de la vie, réaliste, concrète d'où, surgissent encore aujourd'hui les figures de Nicolai Hartmann de Jaspers, de Litt, d'autres encore.

      Ce renouveau fut, tout naturellement après une si longue période de méconnaissance de la valeur religieuse, l'affaire d'une minorité. A côté d'elle roulait l'immense courant des indifférents, et dans les masses bourgeoises et dans les masses prolétarisées. Ce sont ces masses qui ont trouvé dans le national-socialisme une réponse totale au problème de la vie. Une multitude de sectes, de systèmes philosophiques s'était offerte à eux. Rien ne pouvait les unir à la longue ni satisfaire leur besoin de métaphysique irrésistible. Dans un vide insupportable pour leur force, ils se sont ouverts aux mouvements qui mettait tout en question et promettait un nouvel âge, un homme complet. Toute une littérature témoigne de la haine contre l'intellect. L'échafaudage rationaliste s'écroulait sous les coups d'hommes redevenus sauvages. Goering remercia publiquement Hitler de leur « avoir donné une nouvelle foi ». Le chef de millions d'hommes, organisés dans le Front du Travail présenta les membres de la S. A. comme les missionnaires des temps modernes. L'auteur du « Mythe du XXè siècle » avoua que, pour quelque temps, Goethe ne pouvait être un modèle pour la nouvelle Allemagne, car, si la nation voulait retrouver de la cohésion, il était indispensable de se plier à un « type d'homme » que Goethe n'accepterait pas. Un écrivain qui n'était pas sans réputation fit dire à un de ses personnages dramatiques: « Je tire le revolver quand j'entends parler de la culture ».

      La liste des allusions de ce genre serait presque interminable. (Voir surtout: Waldmar GURIAN, Der Kampf und die Kirche im Dritten Reich, Luzern, 1936. R. D'HARCOURT, Catholiques d'Allemagne, Paris, Plon, 1938. - Edm. VERMEIL, Hitler et le Christianisme, Paris, Gallimard, 1939.). Qu'elle suffise pour nous farie comprendre que l'homme était, en grande partie, dérouté, au sens le plus fort du mot.

      Nicolai Hartmann écrit dans un de ses opuscules: « Nous n'avons pas de critère direct de la vérité... toute vérification doit passer par la confrontation bien malaisée avec l'objet » (Nicolaï HARTMANN, Der Philosophische Gedanke und seine Geschichte. Abh. Der Berliner Ak. Der Wiss. 1936, p. 4.). C'est le chemin qu'aucun penseur ne peut refuser. Mais est-ce le chemin de tout-le-monde? Et quelle réalité, quel objet permettra de vérifier les affirmations sur l'homme et sur Dieu ou du moins sur l'homme et son salut? Où va une nation quand ses penseurs pénètrent de plus en plus profondément dans un monde fermé à la grande foule, sans contact avec les soucis de tous les jours? L'histoire récente, du moins, servira-t-elle à vérifier les notions les plus élémentaires sur ce qui est et sur ce qui doit être?


IV.SATANIQUE OU DÉMONIAQUE


      L'existence et la nature de Satan font partie du donné révélé. On le méconnut trop souvent. La conséquence en fut vite une fusion de Satan avec des allégories, par exemple celle de la mythologie germanique, celles des légendes médiévales, celles du Béowulf ango-saxon. On peut même dire que la profanation de la Révélation a commencé lorsque la littérature européenne s'est emparée de la figure et du nom de Satan. Aussi nous semble-t-il absolument nécessaire pour quiconque veut respecter le caractère sacré de la Révélation de laisser à Satan son nom propre et la nature que l'Évangile lui attribue. C'est pour cette raison et pour une raison de méthode que nous préférons nous servir, à l'instar d'autres auteurs (Cf. Paul TILLICH, Das Dämonische. Ein Beitrag zur Sinndeutung der Geschichte. Tübingen, Mohr, 1926. P. P. LIPPERT, Der religiöse Dämon, Stimmen der Zeit, nov. 1924. Josef BERNHART, Das Dämonische in der Geschichte, Die Wandlung, 1945-46, 6è Cahier. Helmut THIELICKE, Die Wirklichkeit des Dämonischen, Universitas, Stuttgart, mars-avril 1946. F. J. VON RINTLEN, Dämonie des Willens. Eine geistersgeschichtlich-philosophische Untersuchung, Mainz, Kirchheim, 1947. H. E. HENGSTENBERG, Michael gegen Luzifer, Münster, Regensberg, 1946.), du terme « démoniaque », admis de préférence dans le langage de la philosophie contemporaine. La désobéissance, la révolte, la haine à l'égard de la suprême valeur, - le Saint des Saints, - telles sont les caractéristiques essentielles du démoniaque dont le sommet est Satan, puissance, dépassant les forces de l'homme et de la nature.

      C'est cette force démoniaque qui semble à l'oeuvre dans l'enchaînement logique des idées athées de la philosophie allemande moderne, dans la constance avec laquelle cette lignée d'idées s'est frayé un chemin de génération en génération, vidant d'abord la Révélation de son caractère surnaturel, diminuant ensuite la notion de Dieu, agrandissant celle de l'individu, pour en finir par ne respecter que ce qui semblait utile au service de la nation. Il nous semble nécessaire d'affirmer un rapport de causalité entre deux siècles de pensée et la dévastation intellectuelle en morale, physique et spirituelle, qui restera longtemps encore sous nos yeux.

      Avec une logique implacable le mal a envahi et l'homme et l'histoire, il s'est servi de l'esprit de l'un pour diriger le cours de l'autre. Raison et Vie semblent être les lieux préférés du démoniaque et l'Écriture Sainte nous confirme dans cette hypothèse quand elle présente le diable offrant à l'homme « la science du bien et du mal » et quand saint Jean parle de « l'orgueil de la vie ». Raison et Vie ont été les deux forces qui ont modelé la pensée moderne allemande, lui ont donné son éclat particulier. Raison et vie sont par excellences les instruments du démoniaque.

      Tout prouve cependant qu'il faut parler du démoniaque comme de Satan avec une extrême prudence et une très grande sobriété. Qui dit démon dit aussi grâce et péché. Le salut de l'homme est ici en question. Cette perspective relève de la théologie et de la métaphysique et non pas des sciences positives comme telles. Un historien politique par exemple qui parlerait avec trop d'assurance de cet abîme recouvert, nous semblerait dépasser sa tâche scientifique. Mais il n'irait certainement pas au bout de ses possibilités, s'il ne laissait entrevoir les forces destructives supérieures à l'homme, agissant par lui mais non point toujours comme il le veut.

      Le chrétien, à la lumière du Christ Rédempteur, Juge de Satan, conclura devant le courant philosophique de l'athéisme à la présence d'une grande pensée objectivement démoniaque et le vieux Goethe, répondant par delà des siècles à Saint Augustin, note en marge de son « Divan »: « Le vrai thème, l'unique et le plus profond de l'histoire du monde et des hommes, à qui tous les autres sont subordonnés, reste le conflit entre incroyance et croyance ».

      Quant à ce qui est de juger de l'intention subjective du penseur, oserait-on le faire après avoir reçu ces paroles du Christ: « L'heure vient où quiconque vous fera mourir, croira faire à Dieu un sacrifice agréable. Et ils agiront ainsi parce qu'ils n'ont connu ni mon Père, ni moi ». (Saint Jean, XVI, 2-3).


Paris

Paulus LENZ-MEDOC.      


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Satan de nos jours


      Ces pages véhémentes ont été écrites par notre grand ami dom Aloïs Mager, O. S. B., doyen de la Faculté de Théologie de Salzbourg, juste avant sa mort arrivée subitement le 26 décembre 1946, à l'âge de soixante-trois ans. Ce collaborateur fidèle des « Études Carmélitaines » à qui revient - après le T. R. P. Agostino Gemelli, président de l'Académie Pontificale des Sciences - la création de nos Congrès Internationaux de Psychologie religieuse, a succombé au travail et à la douleur. Sous un nom d'emprunt, il nous a encore donné en 1939 le Custos quid de nocte? Qui couronne « Le Risque Chrétien ». Dom Mager a intensément souffert de l'opposition du National-Socialisme à l'essor catholique de son pays. Il ne manquait pas de prononcer de sa fenêtre les paroles de l'exorcisme devant l'Obersalzberg. En pleine tragédie hitlérienne, je suis allé avec lui à Dulmen en pèlerinage auprès de celle qui relata, il y a près de cent vingt-cinq ans, la vision suivante dont la vue aurait pu la faire mourir, disait-elle, quand elle se la représentait devant les yeux: « Au milieu de l'enfer était un abîme de ténèbres: Lucifer y fut jeté chargé de chaînes, et de noires vapeurs bouillonnèrent autour de lui. Tout cela se fit d'après certains décrets divins. J'appris que Lucifer doit être déchaîné pour un temps, cinquante ou soixante ans avant l'an 2000 du Christ, si je ne me trompe ». - « Es geschah Alles dieses nach bestimmten Gesetzen, ich hörte dass Luzifer, wo ich nicht irre, 50 oder 60 Jahre vor dem Jahre 2000 nach Christus wieder auf eine Zeitlang solle freigelassen werden ». (Das Bittere Leiden unsers Herrn Jesu Christi nach den Betrachtungen der gottseligen Anna Katharina Emmerich + (9 Refruar 1824) Sulzbach 1833, p. 319. - La douloureuse Passion de N.-S. J.-C. d'après la méditation d'Anne Catherine Emmerich, religieuse augustine du Couvent d'Agnetenberg à Dulmen, morte en 1824. Traduite de l'allemand, deuxième édition belge entièrement conforme à la troisième édition allemande, Louvain chez Van Linthout et Vandezand, 1837, pp. 387-388.)

P. BRUNO DE J.-M.      


      L'époque où nous vivons diffère de la précédente en ce sens que ce dont celle-ci ne prend qu'une connaissance pure, celle-là l'éprouve expérimentalement. C'est l'homme en lui-même qui est le thème de l'évolution spirituelle présente. Il s'agit donc de comprendre l'homme en soi, indépendamment du monde surnaturel. Jusque-là, l'homme se comprit seulement comme un être conscient et connaissant, comme « res cogitans ». Aujourd'hui l'homme descend dans les dernières couches de l'instinct, de la puissance appétitive jusqu'aux racines de l'existence humaine elle-même, jusqu'aux deux forces fondamentales de la conservation de l'individu et de l'espèce.

      C'est, avant tout, ce double instinct de la conservation de l'individu et de l'espèce qui fut sérieusement entaché des suites du péché originel. Si l'homme, par une expérience profondément vécue, scrute ces derniers abîmes de la corruption originelle, alors il se trouve en contact immédiat avec le satanique, auquel il succombe forcément, s'il ne le vainc pas. Ceci, précisément, est caractéristique pour les événements qui se sont déroulés ou se déroulent encore de notre temps. De même que la vraie mystique consiste dans la résistance et dans la victoire contre ce monde souterrain des démons, afin d'en être sauvé, il y a une mystique satanique qui pénètre, elle aussi, dans ce monde souterrain, non pour le vaincre, mais pour le légitimer, le déifier et se mettre comme medium à sa disposition.

      Comme preuve de ce que je viens de dire, je cite deux faits: la littérature moderne et le national-socialisme.

      En littérature, spécialement dans les romans, ce sont surtout les écrivains français et russes qui nous font saisir une nouvelle réalité interne, à savoir le démonisme. Avant eux, il y avait déjà Nietzsche qui avait dévoilé ces profondeurs sataniques. Ce sont cependant les littérateurs, ces maîtres de la psychologie vécue, qui, par un pressentiment extrêmement fin, anticipent sur ce qui, inconsciemment, s'impose comme réalité immédiate au monde contemporain. Les Français comme les Russes furent les révélateurs les plus ingénieux de l'âme humaine. C'est à bon droit qu'on peut parler du démonisme dans la littérature française et russe. Par leurs organes tactiles spirituels infiniment sensibles ces romanciers touchent à ces extrémités où s'opère l'infiltration du satanique. Ils flairent le souffle du démoniaque comme une violente force motrice et, par après, ils essaient de traduire ce démonisme sous forme littéraire par la langue humaine pour attirer l'attention du grand public sur cette réalité nouvellement découverte. Je mentionne les romans de Bernanos: « Sous le Soleil du Satan » et « Le Journal d'un Curé de Campagne ».

      Du Bos (Le « Dialogue avec Andé Gide », Paris 1929) suivit le « Démonisme » chez André Gide et Nietzsche, et s'occupa de Dostojewsk, dont « Le Croquis du Souterrain » manifeste le démonisme dans sa forme nue. Les expositions de Dostojewski sont tellement réalistes que Du Bos admet une coopération directe avec Satan. A bon droit Karl Pfleger remarque: « Les figures démoniaques que Dostojewski met en scène dans ses romans ne sont pas nées sous sa seule imagination, elles sont formées de ce qu'il a lui-même vécu intérieurement: les Raskolnikoff, Swidrigailoff, Kirloff, Werchowenski, Iwan Dimitrii, Smerdjakoff et le père des frères Karamasoff ». Jamais jusqu'ici une plume n'a dépeint d'une façon si réaliste le démonisme dans infra-humain, supra-humain et dans supra-humain infra-humain, que l'a fait Dostojewski. Ces démons à figure humaine pensent irréellement. Ce sont de purs visionnaires. Leur raison analysatrice ou leur volupté de la chair perdent tout contact avec la « vie vivante ». Ils semblent parfois puissants et d'un grand poids. Mais ils ne le sont que dans la destruction. Quoi qu'ils fassent, leurs oeuvres n'aboutissent qu'à la destruction, parce qu'elles proviennent d'hommes qui sont déjà détruits jusqu'au fond de leur âme. (Karl PFLEGER, Die Geister, die um Christus ringen, pp. 208-221). Pfleger pressent bien - quoiqu'il n'en soit pas pleinement conscient - les origines du démonisme en Dostojewski, quand il écrit: « Le monde souterrain n'est rien d'autre que le secret anthropologique de la liberté et l'épreuve dans la liberté. Le monde souterrain n'est pas en soi satanique, mais les démons sortent du souterrain. L'homme destiné dès sa naissance à la liberté devient démon, s'il abuse de la liberté » (pp. 208-209).

      En langage théologique nous dirions: les suites du péché originel ne sont pas en soi démoniaques, elles sont humaines, mais elles sont les portes d'entrée pour les démons. Elles s'ouvrent au moment où l'homme, consciemment et expérimentalement se fait guider par la poussée de la triple suite du péché originel dans sa pensée, sa volonté et son action. C'est ce qui fait l'homme esclave, l'entrave dans l'emploi de sa liberté. L'homme a la possibilité de devenir et de rester alors libre de l'esclavage de la triple concupiscence. Mais il a aussi la possibilité de ne pas devenir ni rester libre de cet esclavage. Celui qui choisit cette possibilité est livré forcément à l'action satanique et devient lui-même, peu à peu, un démon.

      Le démonisme, que les littérateurs pressentirent et expérimentèrent, sans s'y soumettre consciemment, reste une affaire individuelle et, pour ainsi dire, un phénomène littéraire. Mais dans le national-socialisme il se saisit de toute une société avec l'intention bien délibérée de s'assimiler successivement toute la nation et enfin le monde entier. Le démonisme devient ainsi un phénomène général. Non seulement cela. Il devient, pour l'individu et la société, une forme de vie et d'activité. Une nouvelle organisation du monde et de l'humanité doit être basée sur le démonisme. Nous en avons vu le début. Pendant longtemps il sembla que rien ne pourrait arrêter ce mouvement, à première vue gigantesque, dans sa marche triomphale.

      Cependant personne n'oserait contester que le national-socialisme, dans ses forces motrices, découle directement de la triple suite du péché originel. Ce fut l'idéal du national-socialisme de réaliser positivement les appétits des trois concupiscences du péché originel comme les plus hautes valeurs de la culture humaine. Ce fut vraiment pour lui l'idéal le plus éminent, la valeur simplement incomparable. Il vit dans cette réalisation l'originelle noblesse de la race humaine. Celui qui nie cet idéal pèche contre la nation et le genre humain tout entier. De tels individus, il faut les examiner. Jamais dans l'histoire la concupiscence des yeux, la concupiscence de la chair et l'orgueil de la vie n'ont été présentés à l'inverse de ce qu'ils signifient réellement, aussi sciemment et avec tant de conviction que le national-socialisme l'a fait. Pour les nationaux-socialistes tout le bonheur, le salut privé et public consistent uniquement et exclusivement dans les biens terrestres de ce monde. Si la nécessité se fait sentir de conquérir plus de soi-disant espace vital, pour y gagner le maximum de biens terrestres, tout moyen est non seulement permis, mais recommandable, et devient même un devoir qui s'impose absolument. Ce droit est fondé sur l'existence même de la race. C'est l'apothéose de la concupiscence des yeux. Vicié par le péché originel, l'instinct de la conservation, aussi bien de l'individu que de l'espèce, qui réclame passionnément d'être satisfait par n'importe quel moyen, est déclaré comme norme supérieure de la moralité. Une radicale amoralité sexuelle est prônée partout comme idéal dans toutes les écoles, dans les camps de la jeunesse hitlérienne, dans les « Ordensburgen » et dans les casernes de SS. Voici l'apothéose de la concupiscence de la chair. Rien n'est si méprisable, même haïssable au national-socialisme, il ne cherche rien à extirper avec autant de fanatisme que toute sorte d'humanité chrétienne. Elle est, d'après lui, l'avilissement de soi pour l'homme. Elle est faiblesse détestable. Elle est la cause de tous les échecs. De même que la fierté de l'esprit est établie comme le plus haut idéal de l'éducation pour l'individu, ainsi l'unité et l'union de la nation doivent se manifester dans la prise de conscience de ses qualités supérieures, qui l'autorisent à se tenir pour une élite de race, pour un peuple seigneurial, qui, par son existence a non seulement le droit, mais le devoir de s'ériger en ordonnateur et dominateur du monde entier. C'est l'apothéose de l'orgueil de la vie.

      Le médium par lequel Satan tendait à renverser toutes les normes du droit et de la morale qui jusque là, aussi bien par tradition que par nature, et, malgré la déchristianisation progressive, étaient encore généralement reconnues, ce médium était Adolf Hitler. Il n'y a aucune autre définition plus brève, plus précise, plus adaptée à la nature de Hitler que celle si absolument expressive: Médium de Satan. S'il est caractéristique pour touts les médiums sans exception qu'ils soient moralement de moindre valeur, tant du point de vue du caractère que du point de vue de la personnalité, alors cela vaut à fortiori d'un médium du démon. Quiconque ne se laisse pas prendre aux fantasmagories ne peut voir en Hitler une grande personnalité au point de vue de caractère et de la moralité. Le général Jodl disait de lui, au procès de Nuremberg: « C'était un grand homme, mais un grand homme infernal ». (Nous ne pouvons nous étendre sur tous les satanistes ou pseudo-satanistes de nos jours. La presse anglaise du 2 décembre 1947, a annoncé la mort de « Sir » ALEISTER CROWLEY, le personnage « le plus immonde et le plus pervers de Grande-Bretagne » comme le qualifia « Mr Justice ». Interrogé sur son identité, Crowley répondit: « avant que Hitler fût, Je Suis ». il avait fondé à Berlin, en 1920-22, deux revues: Gnosis et Luzifer. Avant de disparaître de ce monde, ce sorcier septuagénaire maudit son médecin qui lui refusait à juste titre de la morphine parce qu'il la distribuait à des jeunes gens: « Puisque je dois mourir sans morphine à cause de vous, vous mourrez aussitôt après moi ». Ce qui advint. Le Daily Express du 2-4-48 annonce que les funérailles du magicien noir Crowley ont provoqué des protestations du Conseil municipal de Brighton. Le Conseiller J. C. Sherrott a dit: « Le rapport affirme que, sur la tombe, fut pratique tout un rituel de magie noire ». Sur la tombe, en effet, des disciples avaient chanté des incantations diaboliques, l' « Hymne à Pan » de Crowley lui-même, l' « Hymne à Satan » de Carducci et les « Collectes pour la Messe gnostique » composées par Crowley pour son temple satanique de Londres.

      Également, la presse anglaise du 30 mars 1948 a consacré des notes nécrologiques importantes au fameux métapsychiste, HARRY PRICE, spécialiste en démonologie. Dans un rapport, entériné par l'Université de Londres, Price a déclaré: « Dans toutes les zones de Londres, des centaines d'hommes et de femmes, d'excellente formation intellectuelle, de condition sociale élevée, adorent le Diable et lui rendent un culte permanent. La magie noire, la sorcellerie, l'évocation diabolique: ces trois formes de « superstition médiévale » sont pratiquées aujourd'hui à Londres sur une échelle et avec une liberté d'allures inconnues au Moyen âge. Price fut le fondateur et le secrétaire perpétuel du Concil for Psychical Investigation de l'Université de Londres.

      A. Frank Duquesne nous signale encore parmi les curiosités « démoniaques » actuelles, le rapport du Prof. Paul Kosok de l'Université de Long-Island, publié dans les annales du Musée Américain d'Histoire Naturelle, concernant une exploration faite en 1946 au Pérou. Les explorateurs ont découvert sur 500 kilomètres carrés de terre sablonneuse et désertique, une double série de dessins, les uns représentant des signes zodiacaux, les autres des oiseaux, des plantes et surtout des serpents polycéphales. Au centre du dessin du Serpent, se trouve une fosse immense contenant des squelettes d'hommes et d'animaux, visiblement sacrifiés. On attribue à l'ensemble 2000 ans d'existence. (N. d. l. R.) )
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      La puissance démoniaque est toujours une puissance fantasmagorique. Dans l'imagination, où le démon travaille, percent les dimensions géantes, alors que pour la froide réflexion, elles se réduisent à une pitoyable caricature.

      C'est comme si Lucifer s'était une fois approché d'Hitler avec la promesse exprimée par saint Luc: « Le diable le transporta sur une haute montagne, d'où il lui montra en un moment tous les royaumes du monde. Et il lui dit: Je vous donnerai toute cette puissance et la gloire de ces royaumes, car elles m'ont été livrées, et je les donne à qui je veux. Si donc vous voulez m'adorer, toutes ces choses seront à vous. (saint Luc, IV, 6-8).

      Il y a un critère infaillible, par lequel nous pouvons déterminer tout ce qui est satanique: le Christ lui-même nous le donna. Dans une discussion avec les Juifs, il leur dit en face: « Vous avez le diable pour père, et vous voulez accomplir les désirs de votre Père. Il a été homicide dès le commencement, et il n'est point demeuré dans la vérité, parce que la vérité n'est pas en lui. Lorsqu'il profère des mensonges, il dit ce qu'il trouve en lui-même; car il est menteur, et père du mensonge » (saint Jean, VIII, 44). Deux signes qui caractérisent le satanique: Mensonge et Meurtre.

      Mensonge et meurtre sont l'expression de l'essence du national-socialisme. Jamais mensonge et meurtre n'ont été faits pour eux-mêmes, en tant que forces motrices de la vie de tout un peuple, avec une froide préméditation, dans une réflexion sans passion, poursuivis avec un fanatisme sans égal, comme dans le national-socialisme. S'il est vrai que Pie XI ait nommé le national-socialisme le mendacium incarnatum, le mensonge incarné, il ne pouvait le désigner de façon plus exacte.

      Toutes les informations de journaux, toutes les annonces de radio respiraient le mensonge. Ce que le national-socialisme dit, écrivit et fit, ne fut que mensonge ou trempé de mensonges. Le parti et l'état du national-socialisme ont été construits sur le mensonge. Dans les derniers jours qui précédèrent l'élection du Reichpraesident, dans de nombreux endroits catholiques, on opposa des affiches ainsi libellées: « Catholiques, votez pour le catholique croyant, Adolphe Hitler ». Hitler annonçait le 21 mars 1933: « Les droits de nos églises restent inchangés. Dans leur positions vis à vis de l'état on ne changera rien... Le gouvernement du Reich voit dans le christianisme une base inébranlable pour son travail de reconstruction. Il cultivera et développera les relations amicales avec le Saint-Siège ». Mais avec les siens il s'exprimait ainsi au sujet des chrétiens: « Je sais comment on doit traiter ces gens pour les réduire. Ils plieront, ou seront brisés, et étant donné qu'ils ne sont pas bêtes, ils plieront. On ne peut combattre l'Église, on ferait seulement des martyrs. Il faut la dessécher. J'avais aussi autrefois cette clôture autour de mon âme, mais je l'ai brisée latte par latte ». Alors vint le dessèchement, l'élimination formelle de l'Église et du christianisme. Il est inutile de rappeler ici le nombre presqu'illimité des mesures les plus infâmes que le national-socialisme prit contre ce qui est, et se nomme chrétien. La « Bayerische Lehrerzeitung » (1935, n° 36 et 37, p. 577) écrit triomphalement: « Le national-socialisme est la plus haute forme de la religion. Jamais, jusqu'à nos jours il n'y eut de plus haute ». De ce temps naquit aussi cette formule: « Dans les siècles à venir, on dira en se rapportant en arrière: le Christ fut beaucoup, Adolphe Hitler fut plus grand » (Münchener Katolische Kirchenzeitung 1946, n° 35, p. 27 s.) (« Ils ne se contentent pas de vouloir faire servir la religion à leurs desseins de domination. C'est la détruire et la remplacer qu'ils veulent. Salut ex Germanis: le porteur de lumière et de salut germanique est appelé à remplacer le Christ ». Ces lignes- et d'autres fort émouvantes- publiées par Robert d'Harcourt dans « Résistances d'Allemagne » (Études, mars 1948) sont de Theodor HAECKER, dont en 1938 nous avons publié des Aphorismes. Je me souviens toujours de la visite que, de passage à Munich, je fis aux tout premiers jours de novembre 1937 à ce grand écrivain d'Allemagne catholique. Il me fit monter dans sa petite cellule de travail, sans me dire mot, au sommet de la maison. Là, il me prit les deux mains et, tandis que des larmes coulaient sur son noble visage, il me déclara: « Nous sommes ici des esclaves ». Il insista pour que je vienne, le 9 novembre, regarder passer la procession wagnérienne du national-socialisme. « Vous devez voir cela, c'est une nouvelle religion ». Je vins et je vis que c'était vrai. (Cf. « Études Carmélitaines », avril 1938: L'Esprit et la Vie, p. 125). P. Bruno DE J.-M.)

      Le mensonge qui constitue le national-socialisme n'est pas purement humain, il est essentiellement satanique. L'esprit humain est créé pour la vérité. Dans son étroitesse et son obscurcissement il peut donner dans des erreurs, défendre même fanatiquement l'erreur. Mais mensonge n'est pas erreur, il est plus. Il est le conscient renversement de la vérité. Si l'esprit humain se livre volontairement au mensonge, c'est alors contre sa nature métaphysique. Seulement des êtres spirituels, comme le sont les démons, peuvent vivre essentiellement dans la perversité du mensonge. Partout, où le mensonge en substance est devenu principe de vie, âme de l'intelligence, de la volonté et de l'action, le satanique opère directement. Dans le national-socialisme c'était le cas. Dans sa nature intime il est satanique.

      Par monceaux, des hommes assassinés tracent le chemin que suivit le national-socialisme. Fermement, le jugement de l'histoire se dresse déjà pour l'éternité: un seul est coupable de cette guerre avec ses millions de tués sur les champs de bataille et d'assassinés: Adolphe Hitler avec ses plus proches adeptes. Les « Neue Zürcher Nachrichten » tirent d'un livre « Le chaos européen » les effrayantes statistiques suivantes: 16 millions tombés dans les champs de bataille, 29,6 millions blessés et infirmes, 3 millions de civils tués par les bombes, 5,5 millions tués par le gaz, brûlés ou assassinés, 24,5 millions complètement sinistrés par les bombardements, 15 millions évacués et déportés, 11 millions dans les camps de concentrations. Et ce n'est qu'un bilan provisoire. Il y eut dans l'histoire du monde des révolutions qui coûtèrent beaucoup, énormément de sang. Mais ce bain de sang était causé par un profond soulèvement des passions humaines. Dans le national-socialisme, par contre, le meurtre était un principe, un moyen ordinaire qu'on employait à chaque instant. Le meurtre de « ceux qui ne méritent pas de vivre » le démontre à l'évidence.

      Le meurtre est l'apogée de la manifestation de la puissance du national-socialisme. Avec des mensonges on dupa et séduisit hommes et peuples. Les mensonges lui préparèrent les routes de l'ascension. Les mensonges le conduisirent à ses succès éblouissants en apparence. Si les hommes prenaient conscience de ce que les Nazis trompaient et eux-même étaient trompés, aussitôt commençait une terreur qui ne souffrait pas la moindre opposition. Mensonge et meurtre étaient l'âme et la vie du national-socialisme. Mais les deux signifient destruction et anéantissement. Le mensonge anéantit la vie spirituelle, le meurtre la vie corporelle. Toujours anéantir, ceci est la tactique du satanique. Significatif est le fait qu'aucun mot ne revient aussi souvent et régulièrement dans les discours d'Hitler et des dirigeants Nazis, et dans leur presse, que: destruction, anéantissement. Mais celui-ci qui ne peut que détruire et anéantir, se détruit et s'anéantit lui-même. C'est une puissance factice, parce qu'impuissance. Ceci est exactement le secret du satanique. Parce qu'il est en soi impuissant, le démon est lâche. Pour voiler son impuissance, il stimule la force par la vantardise, les bruits, les grands gestes, les succès factices, par les insultes et les injures. Moi, je sais d'une source absolument authentique, par des témoins oculaires, combien Hitler était lâche dans des moments décisifs. Comme un lâche il a quitté ce monde, pour autant qu'il l'ait quitté, et ne soit pas tapi, comme un parfait lâche, dans un coin perdu de la terre. Nous nous souvenons encore comment il aimait à illusionner le monde sur sa puissance, par la vantardise, les insultes et les injures. Celui qui possède la véritable puissance ne se vante pas, n'insulte pas, n'injurie pas. Seulement le démon et son médium insultent et injurient. C'est le signe infaillible de l'impuissance démoniaque. Nous trouvons ici la même contradiction: puissance qui est impuissance, impuissance qui se donne comme puissance.

      M. Neuhaeusler, chanoine de la cathédrale de Munich, qui fut lui-même des années en camp de concentration, vient de publier un gros livre: Croix et croix gammée. Le combat du national-socialisme contre l'Église catholique, et la résistance de l'Église (Munich, édition « Katolische Kirche Bayerns » 1946). Dans la première partie: « Antéchrist sans chaînes », il résume l'essence et le caractère particulier du national-socialisme:

      « Satan et le national-socialisme sont liés l'un à l'autre.

      Sataniques étaient la haine du national-socialisme contre le christianisme et tout ce qui était saint.

      Sataniques étaient la mentalité et l'orgueil du national-socialisme.

      Sataniques était le mode de combat et de propagande du national-socialisme.

      Sataniques étaient la brutalité et la cruauté du national-socialisme.

      Sataniques furent finalement l'écroulement et la chute du national-socialisme. »

      Le peuple allemand, de même que les autres peuples ne peuvent rien désirer et faire de plus urgent que d'extirper le national-socialisme jusqu'à la dernière racine et d'en rendre le retour impossible. Mais le satanique serait-il ainsi complètement éliminé de notre époque? L'esprit du national-socialisme se glisse partout, même s'il se présente sous d'autres formes et à d'autres degrés que dans l'Hitlérisme. Il est l'esprit du néo-paganisme conscient qui élève les trois suites du péché originel à l'idéal de la vie. Partout où cela se produit, s'ouvrent tout à coup les portes d'accès du satanique. Une seule puissance est capable de bannir le satanique et de le repousser dans le gouffre: la rédemption par le Christ, comme elle s'opère dans le christianisme et l'Église. Jamais le christianisme et l'Église n'ont cessé de prêcher au monde la certitude que le salut est uniquement dans la Croix, c'est-à-dire, dans le triomphe remporté sur la triple suite du péché originel: la concupiscence des yeux, la concupiscence de la chair et l'orgueil de la vie. Alors seulement, la dernière domination de l'enfer sera définitivement anéantie Ecce crucem Domini, fugite partes adversae.


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