La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres n'ont pas pu s'en rendre maîtres. Jean 1, 5.

MAGIE ET DÉMONOLOGIE


Lettre pastorale de la Conférence des évêques de Toscane (*)



(*)Texte italien dans Il Regno-Documenti, 1er octobre. Traduction de la DC. La Conférence épiscopale de Toscane (métropoles de Florence, Pise et Sienne) comprend dix-huit circonscriptions ecclésiastiques.


      « Lorsque tu seras entré dans le pays que Yahvé ton Dieu te donne, tu n'apprendras pas à commettre les même aberrations que ces nations-là. On ne trouvera chez toi personne qui fasse passer au feu son fils ou sa fille, qui pratique divination, incantation, mantique ou magie, personne qui use de charmes, qui interroge les spectres et devins, qui invoque les morts. Car quiconque fait ces choses est en abomination à Yahvé ton Dieu » (Dt 18, 9-12).


1. « Quiconque fait ces choses est en abomination au Seigneur »
2. La diffusion actuelle de la magie
3. Les raisons du phénomène
4. Gravité du phénomène
5. Le sens de cette Note

I. La magie et ses formes

6. Distinction objective entre religion et magie
7. Possibilités d'influence de la pensée magique sur le comportement religieux
8. Magie « blanche » et magie « noire »
9. Divination et spiritisme

II. Jugement doctrinal de l'Église

10. « Je suis le Seigneur, votre Dieu »
11. L'incompatibilité entre la magie et la foi
12. La magie comme acte moralement illicite

III. Maléfices, possessions diaboliques et interventions de l'Église

13. Le maléfice et son caractère inacceptable
14. Action de Satan et possession
15. La liberté du chrétien et la victoire du Christ
16. Discernement et niveaux d'intervention de l'Église
17. Les exorcismes
18. Les bénédictions

Conclusion: l'urgence d'une nouvelle évangélisation

19. Magie et nouvelle évangélisation
20. Nouvelle évangélisation et démonologie
21. Ouvriers pastoraux et nouvelle évangélisation
22. L'absolue et irremplaçable seigneurie du Christ


1. « Quiconque fait ces choses est en abomination au Seigneur »


      L'avertissement biblique est aujourd'hui plus actuel que jamais. En tant qu'évêques de Toscane, nous ressentons le devoir de le rappeler, avec clarté à nos fidèles. Nous assistons en effet à un retour impressionnant des pratiques magiques. Le phénomène tend à s'imposer dans la vie collective et personnelle de milliers d'individus, y compris les fidèles eux-mêmes. Selon les données les plus récentes, les « utilisateurs de la magie » en Italie seraient presque 12 millions de personnes. Le phénomène nous préoccupe comme indice d'une grave situation de désarroi existentiel, comme pour les présupposés de pensée et les comportements pratiques qu'il suppose.


2. La diffusion actuelle de la magie


      À la magie d'origine agricole et pré-industrielle enracinée dans l'histoire de nos populations, se superposent aujourd'hui des formes de divination qui se revêtent d'hybrides de culture, de « psychologie sauvage » et de références ésotériques. Des magiciens et des mystificateurs, des faux prophètes et des soi-disant illuminés envoûtent des adeptes, extorquent leur argent, présentant comme des « révélations » et des « vérités secrètes » des conceptions de vie d'une pauvreté ahurissante et - ce qui est pire - qui s'écartent de la vérité de la foi. Les adeptes de la magie qui s'attribuent le pouvoir de résoudre des problèmes d'amour, de santé et de richesse, ou prétendent enlever ce que l'on appelle « le mauvais oeil » ou les « sorts » sont des individus qui se font eux-mêmes de la publicité par des insertions payantes dans les journaux, exhibent des attestations universitaires et se font de la publicité sur les écrans de la télévision. Il n'est pas exagéré de parler d'une « industrie de la magie ».


3. Les raisons du phénomène


      Comment peut-on s'expliquer qu'à une époque qui se caractérise par un développement si riche de la pensée scientifique et rationnelle, on constate une diffusion aussi large d'activités de type magico-occultiste? L'augmentation du phénomène, au moins en termes généraux, peut être liée à des requêtes existentielles comme le besoin de conceptions totalisantes de la vie, en mesure de rendre raison du mystère qui l'entoure, la demande de libération de la douleur, du mal et de la peur de la mort, la recherche d'assurances qui permettent de surmonter des situations d'angoisse et de peur, les incertitudes du lendemain et le besoin de points de référence, spécialement après la chute du mythe (des Lumières) du progrès et l'écroulement des idéologies populistes et bourgeoises. Des requêtes réelles et dramatiques qui conduisent certains à choisir le biais de s'adresser à des structures ou des personnes qui se présentent sous l'apparence du « surnaturel », attendant d'elles la solution aux interrogations et aux difficultés du moment présent. C'est également dans cette direction que va la recherche confuse de « faits extraordinaires et miraculeux » que l'on trouve même dans les milieux chrétiens: une recherche qui parfois en appelle à un faux mysticisme ou à des phénomènes de « révélations privées », et qui parfois en arrive même à se tourner vers des références démonologiques, sans aucune vérification du raisonnable et en-dehors d'une authentique maturité de la foi. Parmi les causes de la diffusion de la magie, il faut en effet compter un grave manque d'évangélisation qui ne permet pas aux fidèles d'assumer une attitude critique devant des propositions qui ne représentent qu'un succédané du sens religieux véritable et une triste mystification du contenu authentique de la foi.


4. Gravité du phénomène


      Par ailleurs, le phénomène de la magie se présente sous des aspects notablement diversifiés et complexes. Cela va de formes générales de superstition à des pratiques magiques de divers niveaux, de la divination au spiritisme et même à des groupes et des sectes sataniques qui organisent des réunions et des messes noires. Comme l'a justement observé le cardinal J. Ratzinger: « La culture athée de l'Occident moderne vit encore grâce à la liberté de la peur des démons apportée par le christianisme. Mais si cette lumière rédemptrice du Christ devait s'éteindre, malgré toute sa sagesse et sa technologie, le monde tomberait dans la terreur et le désespoir. Il y a déjà des signes de retour de forces obscures, tandis qu'augmentent dans le monde sécularisé les cultes sataniques » (J. Ratzinger, Rapport sur la foi, 1985.)


5. Le sens de cette Note


      En tant qu'évêques à qui est confiée la responsabilité des Églises particulières de la Toscane, nous ressentons le devoir d'intervenir en cette manière pour mettre en garde les fidèles et nos communautés contre l'invasion d'orientations de pensée et de comportements qui minent les racines mêmes de la foi et sa signification authentique. Dans cette note, nous nous occupons des phénomènes qui concernent la science, de la médecine à la psychiatrie, la parapsychologie, certaines recherches scientifiques sur l'astrologie ou des faits de guérison de nature diverse, ou des rapports entre le paranormal et la religion. Notre intervention est exclusivement de nature théologique et pastorale. Nous analysons le phénomène de la magie et ses diverses formes (première partie); nous rappelons le jugement doctrinal de l'Église (deuxième partie); nous nous arrêtons sur les problèmes spécifiques du « maléfice » et de la « possession diabolique », en indiquant le sens et les conditions d'intervention de l'Église (troisième partie). La conclusion insiste sur la nécessité d'une nouvelle évangélisation, visant à prévenir les phénomènes dénoncés et à proposer de manière positive un christianisme adulte, capable de discernement effectué dans la sagesse et d'une annonce de l'authentique « Évangile du salut », de charité et de prière à l'égard de situations de souffrance. La conscience qui fonde notre intervention découle de la foi en la victoire du Seigneur ressuscité, sur le mal et le Malin: une victoire qui oriente les chrétiens à comprendre leur existence en termes de vie nouvelle dans le Christ, de lumière et de grâce.


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I. La magie et ses formes


6. Distinction objective entre religion et magie


      Le problème d'une définition de la magie est de soi difficile étant donné la diversité des phénomènes. Cependant, une donnée fondamentale semble acquise parmi les savants: la distinction objective que l'on doit mettre, sur le plan anthropologique et culturel, entre « religion » et « magie ». La distinction découle de la manière diverse dont les deux expériences se rapportent à ce qui est transcendant:

      - La religion fait une référence directe à Dieu et à son action, de sorte qu'il n'existe pas et ne peut pas exister d'expérience religieuse sans cette référence;

      - La magie implique une vision du monde qui croit à l'existence de forces occultes qui exercent une influence sur la vie de l'homme et sur lesquelles celui qui exerce la magie (ou l'usager) pense pouvoir exercer un contrôle par l'intermédiaire de pratiques rituelles capables de produire automatiquement des effets; le recours à la divinité - quand il existe - est purement fonctionnel, subordonné à ces forces et aux effets voulus.

      En effet, la magie n'admet aucun pouvoir supérieur à elle-même; elle affirme qu'elle peut contraindre les « esprits » eux-mêmes ou les « démons » évoqués à se manifester et à accomplir ce qu'elle demande. Aujourd'hui encore, celui qui recourt à la magie ne pense pas d'abord s'adresser à Dieu - au Dieu personnel de la foi et à sa Providence sur le monde - mais plutôt à des forces occultes impersonnelles, supra-humaines et au-dessus du monde, régnant sur la vie du cosmos et de l'homme. Il pense qu'il doit se défendre contre ces forces en ayant recours à des gestes pour les conjurer et à des amulettes, ou il présume qu'il peut en retirer quelque bénéfice par des formules d'incantation, des philtres ou des actions liées aux astres, à la création ou à la vie humaine. C'est dans ce contexte qu'entre le caractère producteur de l'acte magique, qui n'admet - une fois mis en acte selon les modalités requises - aucune possibilité d'échec. Cela se passe sous des formes variées. Il y a magie imitative, selon laquelle le semblable produit le semblable: verser de l'eau par terre amènera la pluie, transpercer les yeux d'une poupée rendra aveugle ou fera mourir la personne qu'elle représente. Il y a la magie contagieuse, pour laquelle ce qui est contigu agit sur le contigu ou une partie sur le tout, au point qu'il suffit de mettre en contact deux réalités, animées ou inanimées, pour qu'une force bénéfique ou maléfique se transmette de l'une à l'autre: ainsi, « toucher du fer » ou « jeter du sel » éloignera les influences négatives ou les sorts à cause de vertus spéciales que renferment ces éléments. Enfin, il y a une magie incantatoire, qui attribue un pouvoir particulier à des formules ou des actions symboliques, que l'on croit capables de produire les effets évoqués ou indiqués par ces formules.

      Sous quelque forme qu'elle s'exprime, la magie représente un phénomène qui n'a rien à voir - sur le plan objectif, - avec le sens authentique de la religion et le culte de Dieu. Au contraire, elle est son ennemie et son antagoniste. A juste titre, la raison scientifique contemporaine (ou simplement la raison élémentaire) considère la magie comme une forme d'irrationalité, que ce soit par rapport aux conceptions pré-logiques dont elle se réclame, ou par rapport aux moyens qu'elle met en oeuvre ou aux fins qu'elle poursuit. Il existe chez les savants des opinions diverses sur l'origine de la magie. Certains en identifient la source dans une autosuggestion ou une « névrose obsessionnelle » de l'individu ou de la société. D'autres l'expliquent comme une réaction de défense contre - ou une détérioration de - l'idée de Providence divine. Certains, allant au-delà, voient dans la magie l'expression d'une volonté de puissance de l'homme, orientée vers la réalisation de son rêve archétype: être Dieu. De fait, quelle que soit l'explication dont on part, par la croyance magique se manifeste une sorte de réédition de cette tentation des origines qui a été à la racine du premier péché, présent au coeur de l'homme comme tendance et suggestion sournoise du Tentateur.


7. Possibilités d'influence de la pensée magique sur le comportement religieux


      On doit par ailleurs observer que si religion et magie représentent objectivement deux phénomènes distincts, ils peuvent parfois subjectivement converger sous certains aspects, et ceci peut se produire dans la vie même des chrétiens.

      La pensée magique se caractérise par deux attitudes essentielles: le sentiment du désir d'obtenir quelque chose que l'on ne possède pas ou le sentiment de la peur qui amène à penser que l'on peut mettre des pouvoirs occultes à son propre service, et la nette séparation entre le rite et la vie. Pour pouvoir répondre à ces demandes, la magie, se basant sur la croyance en des forces mystérieuses en mesure de parvenir au-delà des simples causes physiques naturelles, met en oeuvre des rituels auxquels elle attribue une efficacité directe, indépendamment de Dieu et de son action, pour atteindre l'effet attendu ou souhaité par le désir. Le caractère opératoire de ces rituels n'a aucun rapport, dans la perception du sujet, avec son attitude éthique et ses opinions existentielles. En effet, à cause de sa structure fondamentale, la magie n'implique pas de soi de lien quelconque avec les choix moraux de la personne et avec ses devoirs: un individu peut avoir un comportement répréhensible ou vivre dans des situations de faute, d'égoïsme et de haine, mais rien de tout cela, au moins en principe, ne pourra être un empêchement puisque le rituel magique exactement observé ou répété infatigablement produit les effets qui lui sont attribués.

      Il est évident que la signification authentique de la religion et, surtout, la notion chrétienne de liturgie n'ont rien à voir avec composantes de la pensée magique. Malgré cela, subjectivement, on peut créer des superpositions et même des collusions. Précisément parce que l'origine de la magie ne se trouve pas dans la raison mais dans le sentiment, on peut rencontrer chez le croyant aussi une dissociation du même type: par la raison, il est conscient de poser des actes chrétiens dans lesquels il sait que Dieu et sa grâce sont présents, mais, sur le plan du sentiment, ce qui fonctionne en lui peut être une attitude de type magique, liée seulement au désir d'obtenir quelque chose ou d'échapper à une force impersonnelle dont il a peur. Des considérations analogues valent aussi pour la conception correcte de Dieu et du sacrement lui-même, ou quand il est séparé des dispositions de foi et de la réponse de vie qu'il exige. Le rite sacramentel, où la grâce du Christ est à l'oeuvre, exige l'implication personnelle du croyant et l'adéquation de la vie à ce que l'on proclame par l'acte de célébration et que l'on reçoit comme un don de Dieu. Nous voulons mettre en garde nos fidèles contre les dangers, les inviter à une redécouverte permanente du sens authentique du « rite » de l'Église par rapport à une véritable maturité de la foi et une correspondance réelle entre ce que l'on croit, ce que l'on célèbre et ce que l'on vit. En effet, il y a un rapport inséparable entre la foi, le culte et l'existence chrétienne.

      Le but de cette Note, cependant, n'est pas d'abord d'examiner le danger d'une interférence de la pensée magique avec le comportement des chrétiens, mais plutôt de dénoncer le phénomène de la magie en elle-même et sous ses diverses formes, même si on ne doit jamais oublier les reflets qu'elle peut avoir sur la vie et la pratique liturgique des fidèles.


8. Magie « blanche » et magie « noire »


      On distingue traditionnellement la magie « blanche » et la magie « noire ». cette distinction a un sens, spécialement quant au niveau différent de responsabilité morale auquel elle renvoie.

      L'expression magie « blanche » peut être rapportée à deux pratiques très diverses. On peut entendre par là l'art de réaliser des prodiges par des moyens naturels; en ce sens, elle équivaut aux jeux de prestige ou aux phénomènes d'illusionnisme. Il est évident qu'un tel art, pourvu qu'il n'emploie pas des moyens illicites et ne vise pas des fins malhonnêtes, est de soi inoffensif et légitime. Ce n'est pas à lui que nous faisons allusion dans cette Note. Mais il en va tout autrement si, par magie « blanche », on entend des formes d'intervention qui prétendent viser des buts, soit bénéfiques comme le rétablissement d'un rapport d'amour, la guérison d'une maladie, la résolution de problèmes économiques, etc., mais en recourant à l'usage de moyens inadéquats comme des talismans et des amulettes, des porte-bonheur et des philtres, des croyances en des liens existant entre le tirage des cartes, et des personnes ou des événements, ou bien par le recours à des pratiques médicales centrées sur les arts occultes ou des pouvoirs « supra-humains ». Il est clair qu'en ce cas entrent en jeu aussi bien des formes de superstition que des escroqueries et des comportements trompeurs, contraires à la nature même de la foi et donc illicites et inacceptables, quand ils ne sont pas également dangereux pour l'intégrité psycho-physique elle-même et la vie morale de ceux qui en sont les victimes.

      Encore plus grave est la magie « noire ». D'une manière directe ou indirecte, elle en appelle à des pouvoirs diaboliques, ou, de toute façon, elle prétend agir sous leur influence. En règle générale, la magie « noire » poursuit des buts maléfiques (procurer des maladies, des malheurs, la mort) ou influencer le cours des événements dans son intérêt propre, spécialement pour en tirer des avantages personnels comme des honneurs, des richesses ou des choses semblables. On l'appelle magie « noire » à cause des méthodes auxquelles elle recourt et des fins qu'elle poursuit. Cette forme de magie est une véritable expression d'anti-culte, qui vise à ce que ses adeptes deviennent des « serviteurs de Satan ». Elle comprend tous ces rites ésotériques, sur fond satanique, qui ont leur point d'orgue avec ce que l'on appelle les messes noires. De fait, une telle forme de magie ne s'explique pas sans une « influence du père du mensonge » (Jn 8, 44) qui, comme l'enseigne l'Écriture, tente de toutes les manières de faire dévier l'homme de la vérité et de le conduire à l'erreur et au mal (cf. 1 P 5, 8), malgré la défaite qu'il a subie avec la venue en ce monde du Fils de Dieu (cf. Lc 10, 18) et le triomphe glorieux de sa résurrection (cf. Ph 2, 9).

9. Divination et spiritisme


      À la magie, sous ses deux formes, est liée la divination: une pratique qui, au sens strict, constitue une tentative de vouloir prédire l'avenir à partir de signes tirés du monde de la nature, ou en se servant de l'interprétation de présages ou de sorts d'origine diverse; en un sens plus large, souvent parmi les gens les plus simples, elle représente un mélange de crédulité et d'intentions ingénues visant à connaître par avance, à l'aide de moyens ou arts particuliers, quelque fait qui surviendra. Font partie de la divination, l'astrologie (prétendre cerner l'avenir libre des hommes dans les astres ou l'ordonnancement des étoiles), la cartomancie (se faire prédire l'avenir par les cartes, les « tarots »), la chiromancie (déchiffrement des lignes de la main), et des formes semblables. La pire expression de la divination, et la plus grave, est la nécromancie ou spiritisme, c'est-à-dire le recours aux esprits des morts pour entrer en contact avec eux et dévoiler l'avenir ou un de ses aspects. Les séances de spiritisme appartiennent à ce genre de magie. Au cours de ces séances, les participants et les médiums (édition moderne des anciens nécromanciens) s'efforcent d'invoquer les âmes de défunts (par exemple, de soi-disant enregistrements de voix d'outre-tombe): en réalité ils introduisent une forme d'aliénation par rapport au présent et font une mystification de la foi dans l'au-delà, généralement par des truquages, agissant de fait comme des instruments de forces du mal qui s'en servent souvent à des fins destructrices, destinées à confondre l'homme et à l'éloigner de Dieu.

      En interaction avec ces différents types de divination, nous trouvons des groupes ésotériques et occultistes d'origine ancienne ou nés récemment (de la théosophie à l'anthroposophie, jusqu'au Nouvel Âge), qui prétendent « ouvrir une porte » pour faire entrer dans la connaissance de vérités cachées et acquérir des pouvoirs spirituels spéciaux. De tels groupes engendrent un grand désarroi dans l'esprit des gens, spécialement des jeunes, et conduisent à des comportements extrêmement discutables et graves du point de vue chrétien. On ne peut pas non plus oublier ce grand mouvement à la fois initiatique et magique qu'est la maçonnerie, au moins chez certains de ses groupes et dans des formes qui en découlent. Dans la plus grande partie des cas, il s'agit d'une réédition des cultes gnostiques qui proposent à nouveau l'ancienne idée de magie comme volonté de puissance visant à mettre les forces occultes (bonnes ou mauvaises), que l'on pense être à l'oeuvre dans le monde, à son propre service. Ces groupes se présentent comme des « chemins de salut » (d'où leur caractère secret, les rituels mis en actes et le recours à la figure d'un leader doté de pouvoirs exceptionnels), parfois en employant le nom même de Jésus-Christ ou en recourant à des rites qui se voudraient « sacramentels ».

      Il est évident que l'on ne peut accepter ces groupes et leurs pratiques. À la place du sentiment religieux, de la recherche de Dieu et de la vie sacramentelle, ils introduisent des pratiques magiques, des systèmes de pensée et de vie qui sont totalement incompatibles avec la vérité de la foi.

      On rencontre même des groupes où ont lieu des abus de caractère sexuel, avec des conséquences préoccupantes pour les personnes impliquées, que ce soit au niveau moral ou psychique. Nous ne cesserons jamais de mettre en garde les fidèles contre le danger de ces sectes et de leurs erreurs, en redisant l'invitation de Paul à Timothée: « Un temps viendra où l'on ne supportera plus l'enseignement solide; mais, au gré de leur caprice, les gens iront chercher une foule de maîtres pour calmer leur démangeaison d'entendre du nouveau » (2 Tm 4, 3-4), ou le rappel de Jean: « Ne croyez pas n'importe quel inspiré, mais examinez les inspirations pour voir si elles viennent de Dieu, car beaucoup de faux prophètes se sont répandus dans le monde » (1 Jn 4, 1). La connaissance intégrale de l'Évangile et la rencontre vécue avec le Christ dans l'Église, sont Épouse, représentent le meilleur antidote à ces formes de néo-paganisme. Il faut cependant que les croyants soient convenablement évangélisés quant aux fondements de la foi dans le Seigneur ressuscité, l'accueil de sa Parole et de ses sacrements, l'expérience authentique de la prière et de la vie ecclésiale.


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II. Jugement doctrinal de l'Église


10. « Je suis le Seigneur, votre Dieu »


      En général, l'Église ne s'est pas beaucoup préoccupée d'entrer d'une manière analytique dans les détails du phénomène de la magie: cependant, la condamnation de celle-ci a été constante et sans équivoque, en accord avec ce qu'enseigne l'Écriture Sainte. On connaît l'extrême dureté de l'Ancien Testament contre qui pratique la magie (cf. Ex 22, 17; Lv 20, 27). La raison de tant de sévérité réside dans le fait que la magie est un refus du Dieu unique et vrai: « Ne vous tournez pas vers les spectres et ne recherchez pas les devis; ils vous souilleraient. Je suis le Seigneur, votre Dieu » (Lv 19, 31). « Celui qui s'adressera aux spectres et aux devins pour se prostituer à leur suite, je me tournerai contre cet homme-là et je le retrancherai du milieu de mon peuple... car je suis le Seigneur, votre Dieu » (Lv 20, 6-7). Dans la vision biblique, la magie représente un acte d'apostasie du Seigneur, unique sauveur de son peuple (cf. Dt 13, 6) et équivaut à un geste de rébellion à l'égard de Dieu et de sa Parole (cf. 1 Sm 15, 23). « Moi, je suis le Seigneur, et en dehors de moi il n'y a pas de sauveur. C'est moi qui ai révélé, sauvé et fait entendre » (Is 43, 11-12). Une chose est la prophétie, annonciatrice du salut du Seigneur, autre chose sont les présages des devins et des magiciens, porteurs de fausseté et de tromperie (cf. Jr 27, 9; 29, 8; Is 44, 25; 47, 12-15). S'adonner à la magie, c'est comme s'adonner à la prostitution. « Mon peuple consulte son morceau de bois, c'est son bâton qui le renseigne; car un esprit de prostitution les égare, et ils se prostituent, s'éloignant de leur Dieu » (Os 4, 12; Is 2, 6; 3, 2-3). Le Livre de la Sagesse souligne ironiquement combien les rites magiques, au lieu de sauver, conduisent à une situation encore pire. « Les artifices de l'art magique demeurent impuissants et sa prétention à l'intelligence est honteusement confondue, car ceux qui promettaient de bannir de l'âme malade des terreurs et les troubles sont eux-mêmes malades d'une peur ridicule » (Sg 17, 7-8)

      Le Nouveau Testament se situe dans la même ligne quand, lorsqu'il demande la foi en l'unique Seigneur Jésus et le baptême en son nom, il exige le refus de toute mentalité et de tout comportement magiques (cf. Ac 8, 9-13; 19, 18-20). Il existe, en effet, une nette opposition, entre l'annonce de la foi et la magie (cf. Ac 13, 6-12; 16, 16-24). Les vrais croyants sont appelés à s'en remettre à l'unique prophète, le Seigneur Jésus, le Fils bien-aimé du Père (cf. Mc 1, 11) et aux saintes Écritures données par l'Esprit à son Église (cf. 2 P 1, 16-21). La « sorcellerie » sous quelque forme qu'elle se manifeste, fait partie des oeuvres qui écartent de l'héritage du Royaume de Dieu (cf. Ga 5, 20), si bien que l'Apocalypse exclut de la Jérusalem céleste les « menteurs » et les « sorciers » de tout genre (Ap 9, 21; 18, 23; 21, 8; 22, 15). En effet, la magie remplace Dieu par des créatures et représente une reprise de cette tentation diabolique à laquelle Jésus lui-même a voulu se soumettre, en remportant la victoire: « Le démon lui dit: ''Je te donnerai tout ce pouvoir, et la gloire de ces royaumes... Si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela''. Jésus lui répondit: ''Il est écrit: tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, car c'est lui seul que tu adoreras''  » (Lc 4, 6-8).


11. L'incompatibilité entre la magie et la foi


      Tel est l'enseignement constant de la foi chrétienne. Déjà la Didaché, parmi les voies qui conduisent à la mort, met, à côté de l'idôlâtrie, la magie et les incantations (Dicaché, 1 , 5). Tatien, vers la fin du IIe siècle, entame une dure polémique contre le fatalisme astral dans lequel il voit une forme de pouvoir du démon sur l'humanité (Tatien, Oratio ad graeco, 8-11 et 16-19). Hippolite, dans la Tradition apostolique, exclut du baptême les magiciens, les astrologues et les devins (S. Hippolite, Traditio apostolica, 41). Tertullien prononce des paroles très sévères à l'égard de tous ceux qui pratiquent la magie: « Des astrologues, des sorciers, des charlatans de tout acabit, on ne devrait pas même en parler. Pourtant, récemment, un astrologue qui se déclare chrétien a eu l'imprudence de faire l'apologie de son métier! Il est donc nécessaire de rappeler, même brièvement, à cet homme et à ses semblables, qu'ils offensent Dieu en mettant les astres sous la protection des idoles et en faisant dépendre d'eux le sort des humains. L'astrologie et la magie sont des inventions abjectes des démons » (Tertullien, De idolatria, IX, 1).

      C'est là un jugement qui est partagé par la majorité des Pères de l'Église. Selon Augustin, la magie est démoniaque; à l'opposé, la religion chrétienne est victoire sur le pouvoir du démon et en rupture complète avec un tel monde (S. Augustin, De doctrina christiana, II, 35-36).

      Devant les difficultés des nouveaux convertis à abandonner les anciennes pratiques magiques, la condamnation se fait si forte et massive qu'elle finit par attribuer au démon toute la magie, sous toutes ses formes, identifiée qu'elle est avec la possession diabolique. Si la position de saint Thomas demeure extrêmement équilibrée (S. Thomas, Somme théologique, II-II, a. 1-8), de nombreux textes, spécialement au Moyen Âge tardif, en viennent à des accentuations excessives, arrivant à développer l'idée du « maléfice » comme un pouvoir que des êtres humains, spécialement des femmes, peuvent exercer sur les autres, après avoir négocié avec le démon la cession de leur âme en échange de pouvoirs préternaturels qu'ils pourraient exercer à vie. Une idée qui a mené, du XVè au XVIIIè siècles, à la triste histoire des persécutions exercées contre les sorciers et les magiciens. Ces événements, tout en tenant compte du contexte de la difficulté d'un jugement historique à posteriori, restent humiliants pour la chrétienté occidentale. Nous ne devons pas oublier par ailleurs que, même en ces circonstances, il y a eu des hommes courageux comme Cornelius Loos et je jésuite F. von Spes en Allemagne, qui, au nom de la foi, se sont opposés à de tels excès.

      En tout cas, les événements qui se déroulèrent au cours de ces siècles doivent rendre les chrétiens prudents pour juger que la magie est un effet direct - toujours et en toute circonstance - du démon. Par ailleurs, du point de vue théologique, on ne peut raisonnablement réduire la réalité des pratiques magiques, spécialement celles de la magie noire, seulement à un phénomène psychique déviant ou à un simple acte peccamineux de l'homme. On ne peut exclure qu'il y ait dans ces pratiques une action ou une dépendance de Satan, l'adversaire juré du Seigneur Jésus et de son salut. Le diable - comme nous l'enseigne l'Apocalypse - emploiera jusqu'à la fin des temps tout ses pouvoirs et sa sagacité pour tromper les baptisés et s'opposer à la pleine réalisation du projet salvifique de Dieu sur la monde. « Un dur combat entre les puissances des ténèbres - affirme le Concile Vatican II - passe à travers toute l'histoire des hommes; commencé dès les origines, il durera, le Seigneur nous l'a dit, jusqu'au dernier jour. Engagé dans cette bataille, l'homme doit sans cesse combattre pour s'attacher au bien; et ce n'est qu'au prix de grands efforts, avec la grâce de Dieu, qu'il parvient à réaliser son unité intérieure » (Gaudium et spes, 37).


12. La magie comme acte moralement illicite


      Le chrétien ne peut accepter la magie car il ne peut accepter de faire passer Dieu après de fausses croyances. Il ne peut non plus accepter de penser que sa vie est dominée par des forces occultes manipulables à volonté par des rites magiques ou que son avenir est écrit à l'avance dans les mouvements stellaires ou d'autres formes de présage. « Dieu - dit le Catéchisme de l'Église catholique - peut révéler l'avenir à ses prophètes ou à d'autres saints. Cependant, l'attitude chrétienne juste consiste à s'en remettre avec confiance entre les mains de la Providence pour ce qui concerne le futur et à abandonner toute curiosité malsaine à ce propos. L'imprévoyance peut constituer un manque de responsabilité » (CEC, n. 2115)

      La magie « noire », plus particulièrement, représente une faute très grave pour le croyant. Cela vaut - selon une manière diverse - pour la divination et le spiritisme. « Toutes les formes de divination - explique le Catéchisme de l'Église catholique - sont à rejeter: recours à Satan ou aux démons, évocation des morts ou autres pratiques supposées à tort « dévoiler » l'avenir. La consultation des horoscopes, l'astrologie, la chiromancie, l'interprétation des présages et des sorts, les phénomènes de voyance, le recours aux médiums recèlent une volonté de puissance sur le temps, sur l'histoire et finalement sur les hommes, en même temps qu'un désir de se concilier les puissances cachées. Elles sont en contradiction avec l'honneur et le respect, mêlé de crainte aimante, que nous devons à Dieu seul » (CEC, n. 2116).

      En se reconnaissant appelé par Dieu à vivre sa propre existence comme une réponse libre à son projet d'amour par l'accueil de la grâce, le baptisé refuse toute forme de pratiques magiques dans la mesure même où elles constituent une déviation de la vérité révélée, où elles sont contraires à la foi en Dieu Créateur et au culte exclusif qui lui est dû, opposées à la reconnaissance de Jésus-Christ comme unique Rédempteur de l'homme et du monde, et au don de son Esprit et, donc, sont en contradiction avec l'intégrité de la profession de la foi et dangereuses pour le salut. « Toutes les pratiques de magie et de sorcellerie, par lesquelles on prétend domestiquer les puissances occultes pour les mettre à son service et obtenir un pouvoir surnaturel sur le prochain - fût-ce pour lui procurer la santé - sont gravement contraires à la vertu de la religion. Ces pratiques sont plus condamnables encore quand elles s'accompagnent d'une intention de nuire à autrui ou qu'elles recourent à l'intervention des démons. Le port des amulettes est lui aussi répréhensible. Le spiritisme implique souvent des pratiques divinatoires ou magiques. Aussi l'Église avertit-elle les fidèles de s'en garder. Le recours aux médecines dites traditionnelles ne légitime ni l'invocation des puissances mauvaises, ni l'exploitation de la crédulité d'autrui » (S. Thomas, Somme, II-II, q. 76, a. 3).

      La recherche de phénomènes paranormaux ou de pouvoirs « exceptionnels », comme les visions à distance, les « voyages » dans l'au-delà ou la production de « fluide », peut elle aussi être un égarement et dangereuse pour le juste équilibre humain et pour le vécu authentique de la foi du baptême. Beaucoup de ces phénomènes appartiennent au domaine de la parapsychologie et donc au domaine de la science, même si leur explication demeure difficile. Ils présentent parfois une marge de mystère qui peut engendrer des interrogations sur le sens de la vie et de la mort. Mais en général, ils sont utilisés à des fins ambiguës et faussement religieuses, ou même dans un but lucratif, comme cela s'est produit en certains cas dans notre région même. Nous mettons en garde les fidèles pour qu'ils ne tombent pas dans des formes semblables d'exploitation et dans les dangers qui y sont liés. Le sens authentique de la foi n'a pas besoin de telles références. Être disciple du Christ, selon ce que nous décrit l'Évangile, requiert une rencontre simple et authentique avec Jésus Seigneur et Maître, et a en horreur des formes de recherche de l' « extraordinaire ». Croire en Jésus, se convertir à sa Parole et se mettre à sa suite, en communion avec toute l'Église, est le paradigme de référence essentiel à chercher et à poursuivre, comme l'ont fait des millions et des millions de croyants depuis les origines jusqu'à aujourd'hui, sans se laisser dévier par de fausses conceptions et de vains comportements à la recherche du miracle.


III. Maléfices, possessions diaboliques et interventions de l'Église


13. Le maléfice et son caractère inacceptable


      Une forme particulière de magie, qui vise à nuire au prochain, est représentée par ce que l'on appelle le maleficium. Thomas d'Aquin le compte parmi les péchés mortels (S. Thomas, Somme, II-II, q. 76, a. 3).

      On l'appelle vulgairement le « mauvais oeil » (mal fait avec le regard) ou « mauvais sort » (faire quelque chose de symbolique avec l'intention de souhaiter du mal ou de nuire). Il s'agit de formes grossières et populaires de magie, parfois mises en acte par ignorance ou par ingénuité, d'autres fois avec une intention véritable de faire du mal. Celui qui en fait profession doit don nom, sortiarius, à une pratique très répandue au Moyen Âge, consistant à prévoir et diriger le destin (sort) par ses sortilèges. A son tour, le sortiarius n'est rien d'autre que l'héritier occidental des magiciens de l'ancienne Perse et de l'Assyrie, qui avaient commencé par l'étude officielle des astres et avaient fini par recourir à des méthodes occultes visant à assurer des vengeances particulières: il eut pour continuateurs divers groupes, au bas Moyen Âge, jusqu'aux modernes « sorciers » de type populaire ou au profil « professionnel » plus élevé.

      L'idée est très répandue parmi nos gens du « mauvais sort » exécuté aux dépens de quelqu'un. Il est généralement compris comme un acte de malédiction, un geste de condamnation ou un phénomène de suggestion en mesure de faire du mal à ceux auxquels il est adressé, sans que l'on pense - au moins d'une manière directe ou explicite - à un acte de nature démoniaque. Malgré son caractère d'ingénuité, cet acte doit être considéré comme inacceptable du point de vue chrétien, dans la mesure même où il se pose comme une action contraire à la vertu de religion, à la justice et à la charité. On ne peut accepter que quelqu'un désire et s'efforce de faire du mal à quelqu'un d'autre. Bien plus grave est le « maléfice » de celui qui a la présomption de soumettre qui en est l'objet (éléments inanimés, animaux et surtout personnes) au pouvoir ou au moins à l'influence du démon. Dans de tels cas, en tant qu'il est réalisé avec cette présomption spécifique, il revêt la forme de la magie « noire » et constitue un acte gravement peccamineux. Certains fidèles se demandent: le « mauvais sort » existe-t-il? A-t-il des effets réels? Le démon peut-il se servir de personnes mauvaises et donc de gestes comme le « mauvais sort » ou le « mauvais oeil » pour faire du mal à quelqu'un? La réponse est certainement difficile pour juger des cas particuliers, mais l'on ne peut exclure, dans des pratiques de ce genre, une certaine participation du geste maléfique au monde démoniaque, et inversement. Pour cette raison, l'Église a toujours fermement refusé et refuse le « maleficium » et toute action qui lui est proche.


14. Action de Satan et possession


      La possibilité que quelqu'un soit soumis aux forces du mal et même à Satan est une donnée attestée, de diverses manières, dans l'expérience et la conscience de foi de l'Église. Il faut rappeler que Satan est en mesure d'interférer dans la vie d'un homme à un double niveau: par une action ordinaire, en tentant l'homme pour qu'il commette le mal (Jésus lui-même a accepté d'être tenté), et cela concerne tous les fidèles; et par une action extraordinaire, permise par Dieu en certains cas pour des raisons que lui seul connaît. Ce second niveau d'action se manifeste sous des formes variées.

- comme des troubles physiques ou externes, comme on peut le constater dans certains phénomènes qui se sont produites dans la vie des saints, ou des nuisances locales causées à des maisons, des objets ou des animaux;

- comme des obsessions personnelles, c'est-à-dire des pensées ou des impulsions qui projettent dans un état de prostration, de désespoir ou de tentation de suicide;

- comme comme des vexations diaboliques, correspondant à des troubles et des maladies qui arrivent à faire perdre la connaissance, à accomplir des actions ou à prononcer des paroles de haine envers Dieu, Jésus, son Évangile, Marie et les saints;

- comme une possession diabolique, c'est-à-dire comme une prise de possession du corps d'un individu par le démon, qui le fait parler ou agir comme il le veut, sans que la victime puisse résister; c'est clairement la situation la plus grave.

      L'Évangile parle de la possibilité d'une présence diabolique dans l'homme: le sujet qui en est victime devient comme une « maison » dont l'ennemi a pris possession (cf. Mc 3, 22-27); et il décrit des interventions de libération de situations de ce genre opérées par Jésus. Bien qu'il soit difficile de les interpréter, on ne peut pas penser que des interventions semblables doivent être comprises, toutes et toujours, comme une réponse à des situations de dissociation psychologique ou d'hystérie. A moins de penser que Jésus ait été victime d'une superstition primitive, il ne semble pas que l'on puisse accepter que le « tu » qu'il emploie dans ses exorcismes (par exemple en Lc 4, 35; 8, 30-33) soit une expression purement abstraite, ne désignant « rien ». Par ailleurs, on doit toujours prendre en considération que Jésus intervient non seulement sur la possession d'ordre physique, mais aussi sur celle d'ordre moral.

      Les formes d'influence démoniaque, bien que mystérieuses, ne peuvent être interprétées seulement comme des situations de fondement pathologique: elles doivent recevoir une évaluation théologique dans la mesure même où elles se présentent comme des antithèses au projet de salut de Dieu pour ses créatures. La personne humaine, créée à l'image et à la ressemblance du Créateur et rachetée par le Christ, est appelée à la communion avec Dieu et à la participation à sa vie trinitaire. Tel est l'événement de la grâce du baptême et le don de l'Esprit Saint répandu dans nos coeurs. L'action de Satan, en ses diverses expressions, s'oppose objectivement à la vocation salvifique de l'homme et à son appel à la vie de Dieu. Aussi l'Église ne peut-elle rester indifférente devant de tels cas; elle se sent autorisée à intervenir. En tant que sacrement du salut du Christ, elle sait qu'elle a reçu mandat de discerner et de s'efforcer de s'opposer à toute forme de mal ou de force mauvaise qui essaye de conduire l'homme à l'erreur et qui s'oppose à la réalisation de la Rédemption du Christ dans la vie des croyants. Bien qu'il soit difficile de discerner les limites entre des situations psychotiques et des situations d'influence démoniaque effective, elle ne peut pas - en aucun cas - sous-évaluer la gravité de la souffrance des fidèles qui se sentent victimes de tels faits. Elle ne peut pas non plus se limiter à des condamnations générales ou expéditives. L'Église comprend la souffrance de ces frères et de ces soeurs, et elle s'efforce de prendre - en la personne de ses ministres - une attitude de compréhension humaine et d'aide, en évitant aussi bien tout excès de rationalisme et de froid détachement que toute forme de fidéisme ou d'ingénue crédulité.


15. La liberté du chrétien et la victoire du Christ


      Il faut préciser que l'action de Satan, même dans la forme la plus grave qu'est la possession, ne peut pas concerner la domination sur l'âme, mais uniquement l'usage du corps, comme le rappelle saint Thomas, exprimant à cet égard la position traditionnelle de la réflexion théologique: À cause de leur subtilité ou spiritualité, les démons peuvent pénétrer dans les corps et y résider; à cause de leur puissance, ils peuvent les mouvoir et les troubler. Donc les démons peuvent, en vertu de leur subtilité et de leur puissance, s'introduire dans le corps de l'homme et le tourmenter, à moins qu'ils n'en soient empêchés par un pouvoir supérieur. C'est ce que l'on appelle posséder, assiéger... Mais pénétrer dans l'intime de l'âme est réservé à la substance divine » (S. Thomas, In IIm. Sent., dist. VIII, part. II, a. 1, q. 1 et 2).

      Quant aux motifs pour lesquels Dieu peut permettre la possession, on peut en nommer certains, sans prétendre dévoiler le mystère des justes délibérations divines: 1) Pour manifester sa gloire (en contraignant le démon, par la bouche du possédé, à confesser la divinité du Christ ou la gloire de Dieu). 2) Pour punir le péché ou corriger le pécheur. 3) Pour nous instruire et nous rappeler la lutte contre Satan, la nécessité de la prière et de la conversion.

      Ajoutons que, ne pouvant exercer de domination sur l'âme, le démon ne peut pas se servir de la liberté humaine, comme il se sert des organes corporels pour les faire agir selon sa volonté (S. Augustin, De Spiritius et anima, 27; De ecclesiasticis dogmatibus, 50; S. Thomas, In IVm Sent. 1, II, dist. VIII, q. 1, a. 5, ad 6m; Somme théol., Ia, q. 114, a. 1-3). Tous les moyens qu'il est capable de mettre en oeuvre pour induire l'homme à vouloir ce qu'il veut, sont la peur, la terreur et la fascination de l'esprit devant la puissance extraordinaire qui se manifeste par les effets produits sur le corps. En conséquence, la perte de la liberté chez l'homme ne peut découler que d'un refus volontaire de sa part. Le chrétien sait qu'il conserve en lui la capacité de résister aux influences du démon: en lui, en effet, la vérité de la foi est le principe d'une liberté nouvelle (cf. Jn 8, 32-36; Ga 5, 1.13). La victoire de Jésus sur la Croix et sa Résurrection, comporte la défaite définitive de Satan (cf. Jn 12, 31-32). Le chrétien est conscient qu'il a été rendu participant de cette victoire (cf. Jn 16, 33). Sa confiance devant les attaques du diable se fonde sur la grâce de Dieu qui confère à la libre volonté de l'homme le pouvoir de participer de manière efficace à la lutte victorieuse du Christ: « Le Seigneur est fidèle, il vous protégera du Mal » (2 Th 3, 3; Ac 20, 32). « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? », s'exclame saint Paul. Et il conclut: « J'en ai la certitude: ni la mort ni la vie, ni les esprits ni les puissances, ni le présent ni l'avenir, ni les astres ni les cieux, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus-Christ, notre Seigneur » (Rm 8, 31. 38-39). C'est là la certitude indestructible du chrétien. Il est conscient d'une action de Satan dans le monde et du danger qu'il représente (cf. Ep 6, 11-12) mais il ne vit aucunement dans la peur parce qu'il est certain que dans le Christ, son Seigneur et Maître, cette action a été définitivement vaincue. Il professe son espérance, pleine de joie et de confiance, en la pleine manifestation de la gloire de Dieu et de ceux qui ont été rachetés dans la Jérusalem céleste. Dans l'attente, il s'efforce d'être vigilant comme le maître de maison ou la jeune fille de la parabole qui attend l'Époux (cf. Mt 24, 37-44; 25, 1-13), et de multiplier les talents qu'il a reçus en don, afin qu'il soit reconnu comme « un bon et fidèle serviteur », quand le Seigneur reviendra pour achever son oeuvre (cf. Mt 25, 14-30).


16. Discernement et niveaux d'intervention de l'Église


      Le temps de l'Église est un temps de crisis, de choix et de combat contre les puissances du mal, les « principautés » et les « puissances » (Ep 3, 10). Malgré sa défaite, le Tentateur continue à faire obstacle à la pleine réalisation du projet salvifique de Dieu dans l'histoire. L'Église est impliquée « en première ligne », au nom du Christ et par la puissance du Saint-Esprit, dans ce « Théodrame », selon l'heureuse expression d'un théologien contemporain (H. Urs von Balthasar, Théodramatique, 5 vol.).

      La mission fondamentale de l'église, en cet « entre-temps », est de discerner la réalité de l'action de Satan des phénomènes d'un autre genre, et de reconnaître cas par cas cette action satanique. Il peut en effet arriver, spécialement dans un milieu si fortement marqué par la prévalence de formes de pensées magique, occultiste et superstitieuse, qu'une personne qui souffre de psychopathologie plus ou moins grave pense qu'elle est victime d'influences ou même de possession sataniques, sans qu'il y ait de motif réel, mais uniquement suggestion.

      Le Rituel des exorcismes invite les pasteurs à la plus grande prudence pour distinguer « de manière juste les cas d'assauts diaboliques et une certaine crédulité qui amène même des fidèles à penser qu'ils sont l'objet de maléfices, de mauvais sorts ou de malédiction, qui leur seraient infligées par d'autres. Il ne faut pas leur refuser l'aide spirituelle mais il ne faut, en aucune manière, procéder à des exorcismes. Il faut plutôt dire quelques prières avec eux et pour eux, afin qu'ils trouvent la paix de Dieu » (Rituel des exorcismes (RE), n. 14). Le même Rituel, au n. 67, fournit de précieuses indications à cet égard. Il est évident que de telles situations demandent une grande attention et une grande sagesse pastorale. Toute demande d'intervention ne veut pas dire que l'on se trouve devant un cas d'influence démoniaque. Il faut de plus se rappeler que, tout comme il existe de multiples formes d'intervention de Satan sur l'homme, de même il existe des niveaux divers d'intervention de l'Église. L'exorcisme est de soi réservé seulement aux cas de possession diabolique suffisamment attestés; ces cas sont les plus graves mais aussi les plus rares. Dans toutes les autres situations, de la manifestation locale à l'obsession et aux vexations diaboliques, il sera opportun de recourir d'abord à d'autres formes d'intervention comme:

- l'écoute de la Parole de Dieu et l'esprit de pénitence et de conversion;

- la prière personnelle prolongée par le jeûne, comme l'Évangile nous invite à le faire (cf. Mc 9, 29);

- des prières spéciales de libération, selon les formes prévues par l'Ordinaire, faites en groupe ou par des personnes qui en sont chargées;

- la célébration des sacrements et des sacramentaux, mis en valeur selon toute leur signification.

      Ces diverses formes d'intervention sont autant de formes d'action de l'Église qui intercède pour ses enfants et répand la grâce salvifique du Ressuscité dans le monde. « Cela doit être dit en particulier dans les cas de vexation de la part du diable exercés contre des baptisés, chez lesquels le mystère de la miséricorde semble d'une certaine manière s'obscurcir. Quand on rencontre des situations de ce genre, l'Église implore le Christ et, confiante en sa puissance, elle apporte des aides particulières aux fidèles afin qu'ils soient libérés de ces vexations » (RE, 10). Le fidèle en proie à des vexations doit être exhorté, au moins quand cela est possible, à prier Dieu, à accomplir des actes de mortification, à renouveler fréquemment sa foi baptismale, à célébrer le sacrement de la Réconciliation et à se fortifier par la sainte Eucharistie (RE, 18). Ces mêmes exhortations doivent être faites en même temps à ses parents et à ses amis, ainsi qu'à la communauté elle-même des croyants, de sorte que la prière et la vie de grâce de nombreuses personnes l'aident et lui servent d'exemple.


17. Les exorcismes


      C'est seulement après avoir employé tous les moyens que l'Église nous offre, que l'on peut penser à recourir aux exorcismes. Il s'agit, en ce cas, d'un véritable sacramental. « L'Église a toujours été soucieuse de le réglementer, spécialement s'il est accompli sous forme liturgique. Dans les exorcismes, en effet, s'exerce le pouvoir et l'autorité de l'Église sur les démons » (RE, 11). Ce ministère - en sa forme publique - est réservé exclusivement aux évêques et aux prêtres auxquels il a été délégué par leur Ordinaire (Cf. Code de droit canonique, can. 1172; Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la foi aux évêques, 29 septembre 1985; RE, 12; CEC, n. 1673).

      « L'exorcisme consiste à chasser les démons et à libérer de l'influence démoniaque, et cela par l'autorité spirituelle que Jésus a confiée à son Église. Très différent est le cas des maladies, surtout psychiques, dont le traitement est du domaine de la science médicale. Il est donc important de s'assurer, avant de célébrer l'exorcisme, qu'il s'agit d'une présence du Malin, et non pas d'une maladie » (CEC, n. 1673).

      Cette oeuvre de discernement doit être faite préalablement avec soin, mais l'exorcisme lui-même accomplit en partie cette fonction par rapport aux signes qui le précèdent, qui l'accompagnent et qui le suivent. « Selon la pratique reconnue, on considère comme signes spécifiques: proférer de nombreuses paroles dans une langue inconnue ou comprendre celui qui la parle; rendre manifestes des choses lointaines ou cachées; montrer des forces supérieures à la nature de l'âge ou de la condition » (RE, 15). Par ailleurs, ces signes ne constituent que des premiers indices. Ils doivent être reliés aux signes de caractère moral, comme l'aversion pour les réalités religieuses, le rapport entre le comportement du sujet en ce qui concerne la foi et la vie chrétienne, et l'échec de toutes les autres pratiques. De plus, les signes doivent être interprétés cas par cas. Sur le plan de la catéchèse, on devra travailler à ce que les croyants ne cherchent pas dans l'exorcisme une sorte de magie qui « réussit »: il faudra les éduquer le plus correctement possible. Sur le plan liturgique, nous faisons nôtre la recommandation du Rituel que « l'exorcisme soit accompli d'une manière qui manifeste la foi de l'Église et que personne ne puisse raisonnablement y voir une action magique ou superstitieuse. Il faut de plus éviter qu'il devienne un spectacle pour les personnes présentes ou qu'il soit divulgué par les moyens de communication sociale ». (RE, 20).


18. Les bénédictions


      Dans le cadre de l'action sacramentelle de l'Église, les bénédictions ont une signification bien particulière. Si les exorcismes expriment la lutte de l'Église contre les puissances du mal, les bénédictions manifestent la splendeur du salut du Ressuscité, désormais présent dans l'histoire comme un principe nouveau de transfiguration de la vie de l'homme et du cosmos. « Bénir » est en effet un acte sacramental de l'Église dans lequel se manifeste la foi en la présence active de Dieu dans le monde et la victoire pascale du Seigneur Jésus. C'est en ce sens que doit être mis en valeur le nouveau Livre des bénédictions, maintenant édité en italien, qui donne une riche série de formulaires de bénédiction des personnes, des groupes familiaux, des demeures et des activités de l'homme, pour les diverses circonstances et situations de la vie. Il importe seulement que le concept de bénédiction et le recours à celle-ci soient compris de manière adéquate, en évitant la superposition ou la collusion entre la pensée de l'Église et une mentalité marquée par la superstition, qui peut en arriver à réduire la prière de bénédiction à un acte plus ou moins magique (Livre des bénédictions (LB), prémisses, 8-14).

      Selon la conception biblique, reprise et rappelée dans l'introduction du Livre des bénédictions, l'acte de bénédiction s'articule en un double mouvement: ascendant et descendant. Dieu est celui que l'on bénit et celui qui bénit. Le premier mouvement est celui de la louange de Dieu, une louange pleine de reconnaissance et d'action de grâce pour les oeuvres admirables qu'il a accomplies en notre faveur dans l'ordre de la création comme dans celui de la rédemption; c'est lui, en effet, qui le premier, de toute éternité, « nous a bénis de toute bénédiction spirituelle aux cieux, dans le Christ » (Ep 1, 3). C'est de cette conscience que découle le second mouvement de la bénédiction, le mouvement descendant: Dieu est celui qui bénit, celui qui est invoqué pour qu'il nous donne sa grâce et sa protection dans les multiples situations personnelles, familiales et sociales de la vie.

      Comme l'écrit le Livre des bénédictions: « Dieu bénit en effet en communiquant et en annonçant sa bonté. Les hommes bénissent Dieu en proclamant ses louanges, en rendant grâce, en lui rendant le culte et le respect de leur dévotion. Quant on bénit les autres, on invoque l'aide de Dieu sur chacun et sur tous ceux qui sont réunis en assemblée » (LB, 5). En tant que sacramental, la bénédiction suppose une attitude fondamentale de foi pour opérer ce qu'elle signifie, et exige une réponse de vie en rapport à ce que l'on célèbre par elle (Plus en détail: CEC, n. 1667-1770 pour les sacramentaux, et 1671-1672 pour les bénédictions). « Bénir: Bien-dire » (bene-dicere), comme l'évoque le nom, aussi bien en hébreux (barak) qu'en grec (eu-lo-gein), signifie « dire du bien » de Dieu afin que, en le reconnaissant et en implorant son aide et l'intercession de Marie et de tous les saints, il puisse nous donner ses dons, dans le vécu concret de notre existence chrétienne. Que les prêtres, donc, accueillent volontiers ceux qui demandent des bénédictions particulières sur les personnes et les choses, mais qu'ils aient la préoccupation à chaque fois d'expliquer, soigneusement et clairement qu'aucune bénédiction n'a d'efficacité sans les dispositions requises chez celui qui la reçoit, à commencer par le renoncement au péché. Dans le cas contraire, la bénédiction risque d'être vidée de son sens authentique, et même il y a danger qu'elle soit assimilée à une amulette ou autres objets semblables, ou qu'elle soit réduite à un geste contraire à la foi et à la cohérence de vie demandée par l'Évangile (LB, 15).


Conclusion: l'urgence d'une nouvelle évangélisation


19. Magie et nouvelle évangélisation


      La problématique traitée dans ce document est liée en dernière analyse à l'exigence de cette « nouvelle évangélisation » dont le Saint-Père s'est fait, en ces dernières années, le témoin et le porte-parole infatigable. La recherche du « magique », sous ses diverses formes, découle d'un besoin de sens et de réponses que la société d'aujourd'hui n'est pas en mesure de donner, spécialement dans le cadre d'une situation d'insécurité et de fragilité croissantes. Le recours à la magie et aux pratiques de divination, devient par conséquent une compensation du vide existentiel qui caractérise la précarité de notre époque. C'est dans ce vide - qui concerne même des chrétiens qui n'ont pas grandi dans une foi adulte - que se pose l'urgence d'une annonce authentique et enthousiaste de l'Évangile et de la grâce du Christ. Seule une redécouverte capillaire et étendue du sens véritable de la religion et de la foi en Dieu, Père, Fils et Esprit, permet de répondre de la manière la plus adéquate à l'expansion de la magie, sous ses multiples formes anciennes ou récentes, et de faire la lumière sur les questions concernant le discernement de l'action de Satan dans le monde. Il faut à nouveau proclamer, avec une vigueur renouvelée, comme à l'aube de l'Église, que seul Jésus, le Ressuscité vivant pour l'éternité, est le Sauveur et que « en dehors de lui, il n'y a pas de salut. Et son Nom, donné aux hommes, est le seul qui puisse nous sauver » (Ac 4, 12).

      Les « auteurs d'actes d'occultisme » ne trouvent un terrain fertile que là ou il y a absence, vide, de l'évangélisation. Nous devons leur rappeler, ainsi qu'à leurs victimes, comme nous l'avons affirmé à plusieurs reprises dans cette Note, que leurs actions sont dévoyées et en contradiction absolue avec la vérité et la consistance de la foi. En proposant la plénitude de l'existence chrétienne, la nouvelle évangélisation ne doit pas omettre de se faire conscience critique et dénonciation de ces formes de magie qui - à des titres divers, selon qu'il s'agit de magie blanche ou de magie noire - s'opposent au contenu de la foi et à une vision de la vie qui corresponde à la révélation de Dieu confiée à l'Église. Il faut en ce domaine une grande attention pastorale et une absolue clarté des principes. De manière positive, il faut redonner la place qui leur reviennent à l'écoute de la Parole de Dieu, à la célébration des sacrements en tant qu'actes du Christ et de l'Église, et signes efficaces de la grâce pascale, surtout à l'Eucharistie, source et sommet de toute la vie des chrétiens. « La sainte Eucharistie contient tout le trésor spirituel de l'Église, c'est-à-dire le Christ lui-même, lui notre Pâque, lui le Pain vivant, lui dont la chair, vivifiée par l'Esprit Saint et vivifiante, donne la vie aux hommes, les invitant et les conduisant à offrir, en union avec lui, leur propre vie, leur travail, toute la création (Presbyterorum ordinis, 5).


20. Nouvelle évangélisation et démonologie


      Dans le domaine de l'évangélisation, on ne doit absolument pas sous-évaluer le primat du mystère du Christ, de sa mort et de sa résurrection. La démonologie et les problèmes qu'elle pose, bien qu'ils soient graves, comme nous l'avons souligné, ne représentent pas un « primum » dans une vision adulte et intégrale de la foi, et à l'intérieur d'un concept correct de la hiérarchie chrétienne des vérités. Le primat appartient à Dieu, à la confiance inconditionnelle qui lui est due, à son Fils Jésus et au Saint Esprit qu'il répand dans la vie de l'Église, que ce soit par l'écoute de la Parole de Dieu ou la célébration des gestes sacramentels. Le primat appartient à Dieu et à sa révélation salvifique. Satan et les démons ne sont que des créatures, non un principe équivalent à Dieu, ou parallèle à lui, ou contraire à lui. En tant qu'êtres créés, ils sont absolument des sujets du Créateur, soumis à sa puissance, et ils ne peuvent en aucune manière dominer l'âme de l'homme et effacer sa liberté.

      Le phénomène de l'action de Satan sur l'homme, jusqu'à la grave situation de possession, demeure un fait complexe et toujours difficile à interpréter, spécialement en ce qui concerne son identification réelle. À cet égard, nous pensons qu'il est utile de donner quelques indications par rapport à l'action de l'Église et à la charité pastorale des prêtres:

- que les prêtres s'occupent avec bienveillance des personnes qui se déclarent « possédées » et cherchent à discerner les diverses situations qui se présentent à eux avec une grande prudence et un esprit de sagesse, dans la prière et l'invocation de la lumière de l'Esprit Saint sur leur ministère et pour ces fidèles;

- dans les cas les plus graves ou difficilement compréhensibles, qu'ils s'adressent à l'évêque, qui nommera un délégué, particulièrement compétent pour discerner les signes de la vraie possession et en mesure de célébrer l'éventuelle intervention de l'exorcisme.

      Comme le suggère le Rituel des exorcismes, dans les cas où l'on n'est pas suffisamment sûr que l'on se trouve devant une situation réelle de possession, que l'on ne fasse pas l'exorcisme, en se limitant à d'autres formes d'intervention, comme nous l'avons dit précédemment. Dans tous les cas, que l'on se fasse aider par des experts en médecine ou en psychiatrie, préparés scientifiquement et estimés professionnellement (RE, 16-17). À cet égard, il serait opportun de penser à instituer dans chaque diocèse - s'il n'existe pas encore - un groupe interdisciplinaire d'experts qui collabore, d'une manière stable, avec l'évêque et les prêtres en charge, comme un groupe de compétence, de conseil, d'aide dans le discernement de chaque cas.


21. Ouvriers pastoraux et nouvelle évangélisation


      La problématique étudiée dans cette Note ne concerne pas seulement certains cas ou certaines personnes en charge; elle concerne tous les fidèles et tous les ouvriers pastoraux. Comme nous avons eu l'occasion de le montrer, le phénomène de la magie est plus large que le seul fait de la possession diabolique et met en discussion l'identité même du christianisme et de son annonce aux hommes d'aujourd'hui. En tenant compte de l'expansion de ces pratiques magiques, soit sous l'aspect de l'occultisme et de l'ésotérisme, soit sous celui du syncrétisme religieux et des nouveaux groupes sectaires, on demande aux ouvriers pastoraux d'avoir une réelle conscience de la magie, des tendances de pensée et des pratiques qui en sont issues, et des déformations mentales qu'elle induit dans les sujets mêmes à évangéliser.

      À cet égard, nous souhaitons:

- que les ouvriers pastoraux, convenablement formés, fassent aux divers niveaux une oeuvre intelligente d'évangélisation qui prévienne les fidèles et les éclaire devant les dangers d'un concept erroné du christianisme, en développant au maximum la dimension positive et la richesse de l'annonce évangélique par rapport aux aspirations et aux questions des hommes d'aujourd'hui.

- que les prêtres, particulièrement, aussi bien dans l'homélie dominicale que dans l'exercice de leur ministère de confession et de direction spirituelle, mettent en garde les fidèles contre le danger d'une recherche immodérée de ce qui est « extraordinaire » dans la foi, et contre une compréhension infantile de la démonologie dans l'ensemble hiérarchique des vérités de la foi;

- qu'une attention particulière soit accordée à la tendance de certains de se laisser attirer par des « apparitions privées » et des phénomènes charismatiques de provenance douteuse: que l'on se rappelle que d'éventuelles « manifestations » du Seigneur, de la Vierge Marie et des saints, ne rentrent pas dans les vérités « fondamentales » de la foi et que, de toute façon, elles doivent être évaluées avec une extrême prudence: ces expériences conservent un caractère privé et il n'est jamais permis de les porter au pinacle ou de les substituer au contenu authentique du Credo.


22. L'absolue et irremplaçable seigneurie du Christ


      Au moment de terminer cette Note, nous voulons réaffirmer l'absolue et irremplaçable seigneurie de Jésus-Christ, non seulement dans la vie de l'Église mais dans l'histoire même du cosmos et de l'humanité: « Il est l'image du Dieu invisible, le premier-né avant toute créature; en lui tout fut créé dans le ciel et sur la terre, les êtres visibles et invisibles... Tout fut créé par lui et pour lui. Il est avant toute chose et tout subsiste en lui » (Col 1, 15-17). Seul, le Seigneur Jésus est l'Alpha et l'Omega, le commencement et la fin (cf. Ap 1, 8). Il a, et lui seul, le pouvoir et la gloire dans les siècles des siècles (cf. Ap 11, 15-18), il a fait tomber l'Accusateur des hommes et il a rendu victorieux ses frères (cf. Ap 12, 10-12). Lui, et lui seul, a proclamé le don gratuit de l'eau de la vie à ceux qui seront victorieux du mal et de toute forme de « sorcellerie » (cf. Ap 21, 6-8). Celui qui a découvert Jésus-Christ n'a pas besoin d'aller chercher le salut ailleurs. Il est l'unique et authentique Rédempteur de l'homme et du monde. De cette certitude jaillit la joie de notre foi. Comme Jean, tout au long du chemin de la vie, nous pouvons proclamer la doxologie du peuple des rachetés, dans l'attente de l'entrée définitive dans la patrie glorieuse: « À lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour Dieu son Père, à lui gloire et puissance pour les siècles des siècles. Amen » (Ap 1, 5-6).


      le 15 avril 1994,

LES ÉVÊQUES DE TOSCANE.      


(La Documentation catholique, 20 novembre 1994 - N°2104)      



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