La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres n'ont pas pu s'en rendre maîtres. Jean 1, 5.

Documents Episcopat n°10/2006
La tendance sataniste dans la culture actuelle


Remerciements Ce document vous est présenté gracieusement avec l'aimable autorisation de la Conférence des Évêques de France que je tiens à remercier ici, et plus particulièrement Mgr Dupleix qui a rendu cette mise à disposition possible. Vous trouverez plus de documents des évêques de France sur le site http://www.cef.fr      




Les jeunes et les dérives satanistes

I. LE SATANISME EN FRANCE
      QUELQUES FAITS...
      UNE IDEOLOGIE SOUS-JACENTE

II. LE SATANISME COMME RELIGION?
      EVOUTEMENT ET MAGIE
      QUELQUES OEUVRES

III. TRANSE ET DISSOCIATION
      LES PHÉNOMÈNES DE TRANSE
         La transe dans la Bible
         Les transes spontanées de la « conscience ordinaire »
         Les « États altérés de la conscience »
      LA DISSOCIATION

IV. L'EXALTATION DE L'ANTICHRIST
      QUELLE IDENTITÉ POUR « L'ESPRIT D'INIQUITÉ » ?
      LE TEMPS DE L'APOSTASIE ?
      ACTUALITÉ D'UN CULTE DE L'ANTICHRIST

CONCLUSION ET OUVERTURE: L'APPEL À L'ESPRIT SAINT


Les jeunes et les dérives satanistes



      Il existe sur notre territoire national près d'une cinquantaine d'associations qui sont directement affiliées aux pratiques satanistes ou occultistes du type de celles de la Wicca (La Wicca, société secrète d'envergure internationale; cette organisation promeut très largement l'ésotérisme et l'occultisme), ou groupes répertoriés sur le Journal Officiel. Or, si nous comptabilisons aujourd'hui l'ensemble des membres actifs de ces mêmes associations, nous constatons que leur nombre n'excède pas les cinq mille individus, de jeunes adultes pour la plupart, ce qui correspond à peu près à 0,01% de la population française. Ce chiffre est « infime » au regard des soixante millions de Français, étant entendu que nous pourrions toujours regretter la présence d'un seul de ces adeptes, pour lesquels l'Église catholique, en particulier, est une institution qui doit disparaître purement et simplement de la scène nationale et internationale.

      À strictement parler, nous pouvons évoquer l'existence d'une pratique sataniste à partir du XVIIè siècle avec les premières célébrations connues de « messes noires » (L'abbé Guibourg fut connu pour avoir célébré l'une des premières « messes » du genre. L'histoire relate par exemple une « messe Guibourg » célébrée en janvier 1678. les chroniques de l'époque ainsi que de nombreux rapports de police font état de ces différentes célébrations. Nicolas de la Reynie, lieutenant général de la police de Paris, le 4 janvier 1679, ouvrit une enquête à ce sujet et découvrit très rapidement un véritable réseau d'empoisonneurs, d'adorateurs de satan et de pratiquants de « messes noires ». La Reynie fit également arrêter les abbés Manette, Davot, Sebault, Lepreux, Le Sage et beaucoup d'autres, qui furent parmi les premiers à pratiquer les « messes noires » à l'époque du roi Louis XIV). Une messe noire développe un simulacre de messe catholique, elle dénature et parodie plus spécialement le rituel tridentin à travers la profanation d'une hostie consacrée, des évocations satanistes et des pratiques sexuelles de type orgiaque ainsi que des prières énoncées à rebours le plus souvent accompagnées d'un sacrifice animal voire humain. Les « offrandes » sont dédiées généralement à Satan, Astaroth ou encore Asmodée.

      Rappelons au passage, que les termes de « messe » ou de « cérémonie » sont abusifs et impropres car une « messe noire » n'est pas la célébration d'un mystère mais bien plutôt une profanation au sens le plus fort du terme.

      À la suite de nombreuses recherches et investigations, d'abord universitaires mais aussi empiriques, avec la rencontre en particulier de quelque cinquante mille jeunes depuis l'an 2000, jeunes scolaires fréquentant pour la majorité d'entre eux les classes de quatrième à la terminale, nous sommes en mesure d'affirmer aujourd'hui que le phénomène du satanisme est beaucoup plus large que l'ensemble des activités exercées par ces milliers d'individus affiliés à telle ou telle association sataniste, occultiste ou néo-païenne. Les jeunes en question sont des élèves inscrits dans des lycées publics mais aussi catholiques dans plusieurs villes importantes de la région parisienne et de province.

      Au fur et à mesure des rencontres, à l'occasion de conférences données sur le thème de la « culture jeune », conférences pendant lesquelles nous essayons d'apporter un regard critique sur les concertes, les jeux de rôle et vidéos, sur les blogs et autres films et vidéos clips accessibles au grand public ces dernières années, nous constatons très progressivement un nombre toujours croissant de « dérives satanistes » vécues de près ou de loin par ces mêmes jeunes. Nous donnerons quelques exemples significatifs dans les paragraphes suivants, non sans avoir noté au passage que près des trois quarts des élèves interrogés connaissent les albums musicaux sinon les vidéos clips de la plus grande star du monde Gothic, Marilyn Manson, dont on sait les liens explicites avec la Satanic Church de San Francisco, après avoir été initié par Anton S. Lavey, l'auteur de la Satanic Bible, aujourd'hui traduite en français (depuis février 2006).

      Nous brosserons ici une première esquisse retraçant quelques-unes des dérives satanistes perpétrées chez les jeunes en particulier. Dans un second temps, nous établirons certaines données d'ordre épistémologique concernant le satanisme tel que pratiqué de nos jours. Ce faisant, nous demeurons bien sûr dans les limites de ce qu'il est possible de dire en quelques pages, sachant que ce projet requiert certainement une autre approche plus substantielle, au regard d'une idéologie nettement marquée dans son opposition au Christ, en particulier dans sa qualité de Rédempteur. Nous pouvons et devons, certes, discourir sur ce sujet qui touche une fraction toujours plus importante de nos contemporains, mais nous sommes également conscients des limites du présent exercice. Le satanisme, pour le moins, s'apparente en effet au scandale du mystère de l'iniquité qui dépasse très largement les plus subtiles analyses critiques que nous ne saurions jamais imaginer pour le comprendre et le transcender. Seule la vérité de l'Évangile nous accorde une réponse décisive et pertinente à cette question à laquelle le Christ a répondu par son témoignage et surtout par sa victoire sur la mort.

      C'est donc dans cette perspective que nous tenons les propos suivants, perspective qui n'est autre que le devenir d'une Église toujours en pèlerinage vers la Jérusalem nouvelle, sachant que « le Royaume ne s'accomplira pas par un triomphe historique de l'Église selon un progrès ascendant mais pas une victoire de Dieu sur le déchaînement ultime du mal qui fera descendre du Ciel son épouse » (Catéchisme de l'Église catholique, n°677, p. 150, Éditions Mame/Plon, 1992). La vertu théologale de l'espérance reste notre premier appui tout au long des investigations, menées sur les conséquences des pratiques satanistes, que nous sommes en mesure de repérer dans la société actuelle.


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I. LE SATANISME EN FRANCE

      Concernant le seule territoire français, l'année 2005 a été marquée par une progression importante des dégradations de lieux de culte et de cimetières chrétiens, avec un total de 214 sites profanés contre 130 répertoriés en 2004, ce qui correspond à une progression de plus de 60% en un an. Toutes les régions de France sont touchées par ces agissements avec, en particulier, les départements de la Gironde, du Nord, du Haut-Rhin, de l'Hérault, du Morbihan et du Vaucluse. Les auteurs de ces profanations sont de plus en plus jeunes, jusqu'à une quinzaine d'années.


QUELQUES FAITS...

      À titre d'exemple, faisons un bref survol du seul département de la Gironde, toujours pour l'année 2005.

      - Le 19 avril 2005, à proximité des parkings de l'aéroport de Mérignac, les employés de la voirie découvrent dans un bosquet, près d'un feu de camp, plusieurs attributs (livres, inscriptions, jeux...) en lien avec un jeu de rôle appelé « In Nomine Satanis ».

      - Dans la nuit du 25 juillet 2005, trente neuf tombes du cimetière de G. ont été dégradées et profanées par deux jeunes du village. L'un des deux s'affirme ouvertement sataniste, croyant, suivant ses dires, en une « déité non bénéfique, à savoir satan » et d'expliquer son geste par la volonté d'atteindre ainsi la religion catholique.

      - Au cours de la même année, à P., on constate une certaine effervescence autour d'un cercle très organisé, la « Livre assemblée païenne francophone » (LAPF) - association déposée et déclarée en sous-préfecture et inscrite au Journal officiel le 18 septembre 2004. Suite à l'enregistrement, nous apprenons par exemple que cette association a pour but d'organiser des rencontres culturelles entre païens... Elle organise des soirées et des débats, utilisant les moyens de communication de nouvelles technologie. Cette association est également destinée à aider à la création d'autres formations partageant leurs principes spirituels pour défendre l'image du paganisme...

      - Cette même association dispose de correspondants en Gironde mais aussi dans le Nord-Pas-de-Calais, en Moselle, dans le Var, à Paris, dans le Gard, la Lozère, la région Rhône-Alpes et en Vendée. Il est facile de retrouver l'ensemble de ces liens par l'intermédiaire de leur site internet (www.lapf.fr) où sont inscrits plus de deux cents membres aujourd'hui. Les adhérents pratiquent le néo-celtisme et le chamanisme et sont en lien avec une tradition d'origine égyptienne, la croyance khémite, mais surtout sont en relation étroite avec la Wicca qui promeut l'occultisme et le satanisme. (Op. cit. Note1). La Wicca est une association internationale très structurée (www.wicca.free.fr). Le terme wicca, en vieil anglais, signifie « jeter un sort », « accomplir une malédiction ».

      - À B. les jeunes gothics et adeptes de jeux de rôles se retrouvent volontiers à la « Taverne du Graal », filière de l'association Graal Production. Les gothics bordelais fréquentent également les bars QG, Lucifer et Runes.

      - L'association Nocturna, à C., participe également à la promotion de genre musicaux extrêmes tels que la Dark Wave variante la plus noire de la tendance gothic.

      - L'association Trois Crosses organise et fait la promotion des concertes rock metal en particulier.

      - Le 15 septembre 2005, un couple de jeunes pénètre dans l'église de Talence et participe à la dégradation des différents objets liés au culte.

      - Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 2005, quatre jeunes pénètrent dans le cimetière de L. T. pour y « célébrer » la nuit d'Haloween et commettent plusieurs dégradations.

      - Nous savons également que plusieurs églises de l'agglomération bordelaise ont subi la même année - 2005 diverses profanations de tabernacles; ces mêmes profanations ne sont pas comptabilisées dans les statistiques auxquelles nous nous sommes référés plus haut (214 sites français profanés).


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UNE IDÉOLOGIE SOUS-JACENTE

      Au coeur des années soixante et dans un contexte délibérément contre-culturel, le film Rosemary's Baby du cinéaste Roman Polanski (1968) marque un nouveau tournant à propos du satanisme avec, en particulier, un intérêt renouvelé au sujet de la venue de l'Antichrist sur terre. Ce film s'articule autour d'une messe noire au coeur de laquelle Rosemary (M. Farrow) et sont époux (J. Cassavettes) vivent une relation sexuelle de type succube (Démon femelle qui vient la nuit s'unir à un homme). Au cours du tournage, l'une des conséquences funestes de cet épisode sera le meurtre rituel de Sharon Tate, enceinte de huit mois, épouse de Polanski, exécutée par le sataniste Charles Manson, toujours en prison depuis lors.

      À titre d'exemples, les albums suivants sont également très significatifs d'une véritable culture antichristique, et nous ne faisons référence qu'aux seuls titres très évocateurs de ces mêmes albums:

- Groupe norvégien Dimmu Borgir, album Death Cult Armageddon.
- Groupe suédois Bewitched, album Rise of the Antichrist.
- Groupe anglais, Cradle of filth, album Cruelty and the Beast.
- Groupe allemand Ancien ceremony, album The Third Testament.
- Groupe autrichien Belphegor, album The Last Supper et Lucifer Incestus.
- Groupe polonais Christ agony, album Daemoonseth.
- Groupe français Temple of Baal, album Servants of The Beast.
- Groupe suisse Celtic frost, album To Mega Therion.
- Groupe américain du Nord Morbid angel, album Abominations of Desolation.
- Groupe brésilien Krisium, album Conquerors of Armageddon.

      Nous devrions également citer le groupe finlandais Lordi, dans la même mouvance, groupe qui fut élu avec une écrasante majorité à l'occasion du dernier concours musical de l'Eurovision, le 19 mai 2006, sous les yeux de quelque soixante-dix millions de téléspectateurs. Voici en substance la traduction de la chanson lauréate: « HardRock Alleluia [...] Les saints ne savent plus à qui se vouer - en cette nuit de tous les péchés - Ce sont des brebis égarées loin de toute lumière [...] Voici l'Arockalypse alors mettez votre âme à nu [...] j'ai des ailes dans le dos et des cornes au front - j'ai des crocs acérés et j'ai les yeux rouges - Je ne suis pas vraiment un ange ou alors je suis l'ange déchu - Viens avec nous ou va en enfer [...] » (Extraits de la version originale de la chanson de Lordi: The saints are crippled - On this sinners' night - Lost are the lambs with no guiding light - It's the Arockalypse - Now bare your soul- Wings on my back - I got horns on my head - My fangs are sharp - And my eyes are red - Not quite an angel - Or the one thal fell - Now choose to join us or go straight to Hell [...]).


      Le chanteur californien Marilyn Manson est également habitué de ce genre d'évocations à propos de l'Antichrist comme dans les extraits suivants tirés de son album Holy Wood - le Crucifix. Dans le cas présent, Manson incarne le personnage de Satan qui assiste à la crucifixion de Jésus sur le Golgotha avec un propos particulièrement provocant (« Cher Dieu, veux-tu descendre de cet arbre (la croix), tas de viande qui ressemble à la lettre T ? [...] Tes sourires du dimanche ne sont que des clous rouillés [...] Les gens achètent leurs billets pour voir Dieu comme un lion dans une cage [...] Nous n'avons aucun lendemain - Le ciel, les cieux, le paradis ne sont pas pour moi [...] La mort est un ange [...] La mort est Notre Dieu qui nous tue tous! [...] Je suis cloué sur la Sainte Croix Holy Wood [...] Nous sommes morts et demain ne verra pas le jour [...] Les mouches attendent [...] Agneau de Dieu prends pitié de nous! [...] Agneau de Dieu, vas-tu nous exaucer? [...]. » Nothing Interscope Records, 2000).


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II. LE SATANISME COMME RELIGION?

      Il est important d'affirmer que nous ne pouvons pas croire au diable comme nous croyons en Dieu. En revanche, nous pouvons certainement affirmer que nous croyons en Dieu et que nous reconnaissons l'existence du démon, ce qui est une nuance importante. Le satanisme serait une sorte de « contre religion » en particulier dans ses fondements et ses objectifs à l'encontre de la Rédemption du Christ.

      Toujours dans une logique similaire, nous devons affirmer que les Satanic Churches ne sauraient exister au même titre que nos Églises chrétiennes, catholiques, orthodoxes ou réformées... Ces lieux de culte sont en effet étrangers à l'ecclesia - littéralement l'assemblée - puisque leurs principales activités consistent précisément à nuire ou haïr le prochain dans son intégrité morale et physique, qu'il soit seul ou en assemblée. Les adeptes du satanisme adoptent pour la plupart des conceptions et des pratiques dont voici quelques-unes des plus caractéristiques:

      Les prières, nous devrions dire les évocations, sont le plus souvent écrites et lues à rebours comme par exemple le Notre Père: « [...]muut-nemon-rutecifitcnas-silaec-ni-se-iuq-retson-retap » (Il existe également des versions très violentes comme la suivante: « Ô satan qui es en enfer que ton nom soit sanctifié [...] Ne nous pardonne pas nos offenses [...] Mais enferme-nous dans le mal. Ainsi soit-il. »).

      Le Discours des Béatitudes (Matthieu 5) est une variante du Sermon sur la Montagne déjà parodié par Frédéric Nietzsche: « Heureux les forts. Heureux ceux qui sont violents et ceux qui rient. Heureux ceux qui promeuvent l'injustice et l'iniquité. Heureux les blasphémateurs [...] ils seront des disciples de Satan ». etc.

      Les cierges liturgiques sont de couleur noire, le crucifix est renversé, les pages d'une Bible sont ostensiblement déchirées, comme à l'occasion d'un concert donné par Marilyn Manson.

      Une hostie est généralement profanée à la suite d'invectives contre la rédemption du Christ, en particulier à l'occasion d'une messe noire.


      L'idéologie sataniste promeut également différentes formes qu'il soit symbolique, animal ou humain. Un meurtre symbolique correspond pratiquement à une defixio (Defixio de la racine verbale latine defigo, fixi: « planter », « enfoncer ».) telle qu'elle était pratiquée dans la religion romaine antique, defixio que l'on peut traduire par « envoûtement », sachant que le volt « voût-) dans « l'acte-d'en-voûter » correspond au visage, à l'image (vultus en latin) d'un ennemi que le chaman représente sous la forme d'une figurine dans l'espoir de nuire littéralement à « l'original », la personne qui fait l'objet d'une defixio, l'être pour lequel on éprouve une haine mortelle.

      Dans la religion grecque ancienne, la defixio latine correspond au rituel d'envoûtement qui consiste à « lier vers le bas » καταδεσμον; le préfixe kata- traduit la direction « vers le bas », « en bas », sous-entendu « vers les puissances infernales ».


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EVOUTEMENT ET MAGIE

      Platon, dans La République ou dans Les Lois, fait quelques références à ce type de pratiques répréhensibles qui consistent à perpétrer des crimes de magie contre d'autres hommes « au moyen d'incantations et d'envoûtements » (À ce sujet, lire la remarquable étude historique de Fritz GRAF, La magie dans l'Antiquité gréco-romaine, Les Belles Lettres, Paris, 1994. « Incantations et envoûtements », in Platon, Le livre des Lois, XI, 993; cité par GRAF, p. 140 et suiv.).


      L'envoûtement classique suppose deux volonté, l'une dominante et l'autre dominée, le prédateur et la victime. A.-J. Festugière, à qui l'on doit en particulier la traduction des principales sources hermétiques (Hermès Trismégiste), différencie de façon semblable les évocations liturgiques des procédures magiques par une « contrainte ». Autrement dit, « une action magique est d'essence magique [...] ce n'est pas une prière ni une demande mais une sommation. On force la divinité à agir » (André-Jean FESTUGIÈRE, L'idéal religieux des Grecs et l'Évangile, Les Belles Lettres, Paris, 1981, p. 281-326).


      Dans un contexte de magie noire, la sommation se double d'une haine intense à l'égard de la victime, exécration et malédiction sont ainsi conjointes:

      « Je lie un tel (du nom de Théagène), sa langue et son âme et les paroles dont il se sert [...] je lie aussi les mains et les pieds d'un autre tel (appelé Pyrrhias) [...] je les lie tous, je les fais disparaître, je les enterre, je les cloue « en bas » (je les voue aux divinités infernales) [...] » (Defixio, n° 49, rituel d'envoûtement, traduction d'Auguste AUDULLENT in Defixionum Tabellae, Paris, Éd. A. Fontemoing, 1904. Livre très rare et épuisé).

      Il s'agit de rapprocher - par le truchement d'un rituel - d'identifier, de mettre en parallèle la victime avec une ou plusieurs entités spirituelles.


      Par conséquent, il n'y a pas seulement deux volontés dans ce type de rituel, mais trois: la volonté du mage ou du sorcier qui domine , qui lie telle victime par la volonté d'une puissance préternaturelle. Ce faisant, le rituel s'organise au moyen de formules (Similia similibus, formulation que l'on doit à Auguste AUDOLLENT, op. cit.) de type similia similibus.


      En ce sens, il s'agit de « lier » quelqu'un, voire de « dédier » ou « d'ad-juger » un tel à un tiers invisible et infernal ad Plutonem. Cet indice différencie - déjà dans les rituels antiques - l'opposition qui demeure entre la magia et la religio, et qui les sépare.

      C'est pour cette raison qu'au sein de defixiones et des procédures d'envoûtement, le sorcier - celui qui jette un sort en secret - enterre, enfouit, occulte « vers le bas » dans la terre, ses « ligatures ». Telle est l'origine des pratiques occultes!


      La religion en revanche entraîne les hommes vers les hauteurs, vers les cieux. La magie, et dans son prolongement le satanisme, portent un caractère d'inversion, de renversement et finalement de perversion de la religion. L'archéologie de ces dernières années a exhumé de nombreuses tombes antiques dans lesquelles étaient enfermées des defixiones (magie) tandis que dans les mêmes cimetières, les anciens plantaient déjà des cyprès dans le but religieux de « faire monter vers le ciel » les âmes des défunts. Nous sommes entre magie télurique et religion céleste. La magie travestit la religion.

      Le satanisme s'oppose en particulier aux religions révélées telles que le judaïsme ou le christianisme comme s'opposent en architecture construction et démolition ou destruction.

      Dans la même optique, au sein des pratiques sataniques comme dans la magie, le plus souvent sont utilisés des prières codées, comme nous le disions précédemment, mais également des mots magiques (ονοματα βαρβαρικα), des noms secrets, des anagrammes ou encore des mantra suivant les horizons.


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QUELQUES OEUVRES

Pour faire très bref, nous voudrions citer les auteurs les plus connus à l'origine des pratiques sataniques actuelles, non que les premiers auteurs auraient pu imaginer une telle filiation, mais pour démontrer que les mages et les sorciers de notre époque ne font qu'adapter des procédures anciennes suivant un mode syncrétique.

      L'une des toutes premières récurences de « noms étranges » remonte à Euripide (EURIPIDE, Iphigénie en Tauride, 1336 sq.), en particulier par la bouche d'Iphnigénie qui, littéralement, aurait « hurlé des mots barbares, en vraie sorcière » à l'encontre d'Oreste.

      Jamblique, dans son traité sur les mystères d'Égypte mentionne maintes fois l'efficacité de ces noms barbares qui, en réalité, traduisent l'existence de divinités assyriennes. Origène, en particulier dans son Contre Celse (ORIGÈNE, Contre Celse, Le Cerf, SC, n°132, Paris, 1967, p. 139-139.) avait parfaitement repéré ce type de procédure.

      La religion serait antérieure à la magie, contrairement à ce que peuvent soutenir la plupart des historiens des religions tels que Mircea Éliade qui défend une origine chamanique à l'humanité. Il n'est pas prouvé que les peintures rupestres et autres alignements de menhirs aient avant tout une portée magique. Nous retrouvons une chez les Sumériens parmi lesquels les astronomes constituaient la première génération d'astrologues, au sens religieux du terme « ceux qui observent les étoiles, la lumière du ciel ». L'astronomie serait également antérieure à l'astrologie comme en témoigne de très anciennes tablettes cunéiformes. L'homme fut d'abord un contemplatif avant de personnifier - d'idolâtrer - les puissances de la nature.


      Aleister Crowley, les adeptes de l'Ordre du Temple d'Orient (OTO) et ceux qui sont affiliés à la Wicca internationale, pour ne citer que les organisations les plus connues, ne doivent leur existence qu'à différents rituels et concepts qui leur sont pratiquement tous antérieurs jusque dans l'Antiquité. Le satanisme s'érige donc sur une structure essentiellement syncrétique, c'est une nébuleuse multiforme dans laquelle on reconnaît des éléments empruntés pour l'essentiel au spiritisme et ses nombreuses variantes, au chamanisme, aux defixiones antiques et enfin aux pratiques liées au tantrisme hindou le plus hétérodoxe.


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III. TRANSE ET DISSOCIATION

      Tenant compte des contextes familiaux et des milieux sociologiques auxquels appartiennent les adeptes du satanisme, il est à noter que le plus souvent, ce sont des expériences très particulières de transe qui permettent d'opérer le fameux « passage à l'acte » et d'outrepasser une limite au-delà de laquelle un acte peut être qualifié de « satanique ».

      La plupart du temps - sauf cas pathologiques - un être n'est pas en mesure d'effectuer spontanément une transgression ou d'extérioriser un acte ultra-violent de type satanique. Souvenons-nous dans un autre contexte, des actes kamikaze des aviateurs japonais de 1944-1945... et du problème du conditionnement, du fanatisme et finalement de la programmation. Plus proche de nous, il faudrait également faire allusion aux plus récents attentats terroristes. Les phénomènes de transe participent à cette programmation, mais face à la complexité de ces expériences paroxystiques, nous voudrions à présent poser succinctement les bases que nous devons tenir pour distinguer plusieurs de ces expériences qui oscillent de la transe magique à l'extase religieuse. Pour ce faire, nous engagerons un détour jusque dans l'Antiquité, et dans quelques textes de l'Ancien Testament, afin de mieux cerner les différentes « montées au ciel » et « descentes aux enfers ».


LES PHÉNOMÈNES DE TRANSE

      La transe est un phénomène d'ordre psychophysiologique et mystique très complexe dont de très nombreux Pères de l'Église, théologiens et, de nos jours, ethnologues et anthropologues ont maintes fois tenté de décrire les principales caractéristiques; les mêmes auteurs pouvant utiliser un vocabulaire très large. Aujourd'hui, il n'est pas rare en effet de lire différents exposés sur le sujet avec des équivalences constantes entre les termes d' « extase », « transe », « catalepsie », « état altéré de la conscience », etc. Or, nous avons bien conscience des limites de notre approche ainsi que de la complexité du sujet pour prétendre donner un avis définitif sur la question, si tant est qu'il est possible d'en donner un!

      Par conséquent, l'argumentation suivante ne se bornera qu'à l'exposition très schématique du phénomène de la transe, en particulier concernant ce que l'on appelle les facteurs déclenchant à l'origine de telle ou telle expérience qui nous intéresse.


La transe dans la Bible

      Il est notable que l'expérience de la transe apparaisse dès la création de l'homme dans les textes bibliques avec en particulier ce que « subit » Adam à travers l'expérience de tardemah (hébreu), extasis (grec), et que l'on traduit par l'expression « un sommeil de torpeur » ou encore « transe extatique »: « Le Seigneur Dieu fit tomber une torpeur (tardemah) sur l'homme, qui s'endormit [...] » (Gn 2, 21).

      À l'occasion du premier sacrifice d'Alliance, Abraham fait également une expérience assez proche de celle que nous venons de décrire: « Comme le soleil allait se coucher, une torpeur (tardemah) tomba sur Abraham et voici qu'un « grand effroi » (une transe extatique » le saisit [...] » (Gn 15, 12).

      Il faut donc noter - à ce stade de notre réflexion - un certain rapport d'unilatéralité dans la relation de Dieu vis-à-vis de l'homme lors de l'expérience de tardemah. Dans le texte de la Genèse, on ne trouve en effet aucune inférence directe ou indirecte qui permettrait de dire qu'Adam et Abraham provoquent ou induisent la tardemah.


Les transes spontanées de la « conscience ordinaire »

      Nous connaissons plusieurs types de « transes naturelles » encore appelées modifications spontanées de la « conscience ordinaire »: les transes néoténique, ecsomatique, onirique, orgasmique et esthétique. Très brièvement, voici comment nous pourrions les définir:

- La transe néoténique (νεοs, « nouveau » et le verbe τεινω, « se prolonger » chez le « nouveau-né »). C'est la transe que peuvent éprouver certains enfants prématurés.

- La transe ecsomatique (εκ, « hors de » et σωμα, « le corps »). Cette transe correspondrait à ce que l'on appelle en anglais the OBE, Out ouf the Body Experience: « la sensation de se retrouver hors de son corps physique ».

- La transe onirique, quant à elle, est en lien avec l'expérience du « rêve lucide » dans lequel le sujet connaît sa propre identité et sait qu'il peut se réveiller à tout instant.

- La transe orgasmique, ou transe érotique, se développe spécialement à partir d'une expérience sexuelle. La conscience de l'un et/ou l'autre des deux partenaires est exacerbée, au point, comme le dit Wilhelm Reich, qu'elle s'empare de toute la responsabilité jusqu'à produire une « sensation totalement fusionnelle », encore appelée « sensation océanique ».

- La transe esthétique enfin correspond à une « expérience fusionnelle avec la nature », expérience que les adeptes du Nouvel Âge comparent à une sorte de « conscience cosmique », ou encore un « état supérieur de conscience », suivant leur terminologie, ce qui équivaudrait à une « expérience panphysique » pour utiliser le vocabulaire de R. C. Zaehner (R. -C. Zaehner, Mystique sacrée. Mystique profane, Éditions du Rocher, Monaco, 1983, p. 99).

- La transe - mania (μανια) - est notée chez les classiques, en particulier chez Platon (le Phèdre), Dicéarque (disciple d'Aristote), le tragique Eschyle, Cicéron et Plutarque...

- La mania mantique, « faculté divinatoire » (μαντεια) et la mania télestique, « la transe de possession » (τελεστικοs) sont en rapport avec le bacchant (βακχεντϧs) et le corybant (κορνβαντικοs): « celui-qui-se-livre-a-des-transports-bachiques » et « celui-qui-est-agité-d'un-transport-de-croyant ».

      La Sibylle ou la Pythonisse est un être « qui-porte-un-dieu-en-soi » [εν-θεοs]. Elle est habitée d' « une fureur divine » (Cf. par exemple, ESCHYLE, Les Perses, 620; EURIPIDE, Alceste, 1003). Nous retrouverons, dans un sens élargi, cette même idée chez « l'enthousiaste », « celui-qui-est-rempli-de-Dieu ».

      Cicéron, dans son traité De divinatione, traduit la « fureur divine » (CICÉRON, De Divinatione, I, 57): Deus inclusus corpore humano. Plutarque (traité De oraculus) décrit aussi différents états de possessions accompagnés de phénomènes de xénoglossie... « La Pythie parla d'une voix rauque et parue saisie par un esprit malin et hurlant [...] » (PLUTARQUE, Def. Orac., 51, 438, cité par E. R. DODDS in Les Grecs et l'irrationnel, Flammarion, 1977, p. 79&96).

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Les « États altérés de la conscience »

      Altered States of Consciousness (ASC), encore appelés États étranges de la conscience (EEC).

      Il existe enfin les transes induites par différents artifices, des transes provoquées jusqu'à la transe de possession (Cf. en particulier les travaux de grands ethnomusicologues comme Gilbert ROUGET dans son ouvrage La musique et la transe. Esquisse d'une théorie générale des relations de la musique et de la possession, Gallimard, Paris, 1990).

      Aujourd'hui, nous avons à notre disposition une quantité considérable de méthodes qui permettent d'induire une telle expérience de transe.

      Dans le cadre du satanisme - et de la magie au sens strict du terme - ces phénomènes peuvent s'apparenter à une véritable transe de possession induite par une symbolique opérative de type liturgique, dépassant bien sûr de simples phénomènes vibratoires, qu'ils soient acoustiques ou visuels pour la plupart. Deux triangles isocèles inversés sont alors un pentacle et pas seulement des figures géométriques. Quant à certaines formes d'exécrations et d'insultes, elles correspondent en fait à un pacte et une abjuration de type apostasie.


      C'est dans ce cadre que l'ésotérisme, et dans son prolongement, l'occultisme agissent à pleine puissance. En ces circonstances, y compris à l'occasion de concerts de type metal, ou autres, les vibrations sonores (nous n'osons pas dire musicales) et les textes des chansons correspondent à autant de suggestions ou d'évocations de type spirite au pouvoir psychagogique (du grec ψνχη-γωγεω), « évoquer des démons, des esprits »).
      À cet instant, l'individu est alors en proie à un autre type de dissociation qui s'apparente à une « transe de possession ».


      Dans le satanisme, les pratiquants exécutent des transes que nous pouvons qualifier de « transes magiques » et qui se différencient nettement de « l'extase religieuse » de type mysique.


      Dans la transe de type magique, le rapport n'est plus unilatéral (comme dans la Bible) mais il est bilatéral à l'image du shaman (sorcier) qui danse sur lui-même, formule des évocations au rythme du tambour et finalement tombe en transe comme les vaudous, les macumbas et les candomblés.


      Ces dernières années, les pratiquants de rituels sataniques, messes noires, sabbats de lunes noires (et non de pleine lune) et rituels des Satanic Churches... ont rationalisé et systématisé plusieurs techniques de « mise-en-transe-de-possession).

      Abraham, lors de son premier sacrifice (Gn 15) ou - dans le Nouveau Testament - Pierre, Jacques et Jean qui, sur le mont de la Transfiguration « tombèrent tout effrayés », sont littéralement « extasiés » par Dieu. Dans l'extase mystique, on ne trouve aucun artifice ou pratique susceptible d'induire un état de transe à la façon d'un shaman ou autre danseur vaudou.

      Dans l' « extase » par Dieu, il y a passivité de l'individu, unilatéralité.
      Le shaman, lui, provoque la transe. Il y a activité de l'individu, accompagnée notamment de facteurs exogènes comme la danse et le tambour et éventuellement des prises de drogues hallucinogènes. Il y a bilatéralité.

      Les séances de rave parties, de techno ou de techno trance ainsi que de nombreux concertes de type metal ou gothic génèrent le plus souvent parmi les auditeurs des expériences individuelles ou collectives de transe. Or, on admet aujourd'hui assez généralement que « toute transe est dissociative », cela signifie que les auditeurs - des foules de jeunes - peuvent faire l'expérience « d'états modifiés de conscience » encore appelés « expériences de dissociation ».


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LA DISSOCIATION

      « Le terme de dissociation appartient au domaine de la psychopathologie. Précisément, c'est Pierre Janet qui a lancé cette notion et l'applique aux cas de personnalités multiples. En fait, dans sa thèse de philosophie, Janet a utilisé le terme de « désagrégation mentale », expression qui fut traduite aux États-Unis par dissociation ».(Citation de Georges LAPASSAU, La dissociation: transe et hip hop, in http://gredin.free.fr , p. 2 et suiv. Cf. surtout l'ensemble de son livre sur le sujet, Rite de possession, Anthropos, Paris, 1997.)


      Les mécanismes d'ordre psychophysiologique qui génèrent ces dissociations pour ce qui nous intéresse, sont toujours en lien avec différents facteurs déclenchants que les raveurs ou les spectateurs de concertes sont susceptibles d'éprouver fussent-ils plus de cent mille individus.

      Ces facteurs sont généralement les suivants:

- Une audition musicale au tempo, beat très rythmé.
- Divers phénomènes de synesthésie.
- Les flashs accélérés des stroboscopes.
- L'absorption de stupéfiants, en particulier l'ecstasy (MDMA).
- Une promiscuité accrue...

      Quand ces différents phénomènes sont en synergie, ils occasionnent alors sur les individus une saturation des cinq sens, nous devrions parler de « sursaturation sensorielle ». C'est à cet instant que nous pouvons parler de dissociation conséquemment à une expérience de transe. L'imaginaire - la capacité imaginative - est à cet instant exacerbée au point que l'intelligence et la volonté de l'individu sont pour ainsi dire suspendues dans leur mode de fonctionnement habituel. Non pas que ces deux plus hautes facultés internes soient intrinsèquement altérées mais elles ne jouent plus alors leur rôle dominant sur l'individu: c'est ainsi que les inhibitions habituelles s'estompent comme l'instinct de pudeur, les a priori moraux sont également suspendus au seuil « d'un domaine de toutes les possibilités » où l'on peut éprouver indifféremment des attirances hétéro ou homosexuelles, etc. Ce qui explique en partie le phénomène de l'androgynie si commun aujourd'hui chez les Gothics et les Punks, pour ne faire référence qu'à ces deux tendances.

      Dans un cadre qui est alors non plus satanique mais démonologique, il est à noter que le type de dissociation auquel nous faisons allusion peut renvoyer à [la] réflexion du Cardinal Joseph lorsqu'il évoquait « une catégorie qui peut nous aider à comprendre [...] plus précisément la puissance des démons, dont l'existence, il est vrai, est indépendantes de cette catégorie. Les démons sont une puissance du « Entre », auquel l'homme ne cesse d'être confronté, sans qu'il puisse la fixer comme une chose. C'est très précisément ce que Paul a en tête lorsqu'il parle de « dominateurs de ce monde de ténèbres »; lorsqu'il dit que, contre eux - ces esprits du mal [...] notre combat n'est pas dirigé contre la chair et le sang [Ep. 6, 12]; il est dirigé contre ce « Entre » fermement établi, qui tout ensemble enchaîne les hommes les uns aux autres et les coupe les uns des autres [...] On a là un trait tout à fait spécifique du démoniaque: son absence de visage, son anonymat ». (Joseph Cardinal RATZINGER, in Christus, n° 168, octobre 1995, p. 450).


      Il est intéressant de noter que les types de dissociations auxquelles nous faisions allusion plus haut peuvent être également interprétées comme une catégorie d'expérience proche de la puissance du « Entre » précédemment citée. D'un point de vue strictement sémantique, la dissociation correspond littéralement à une « séparation », une « scission » dans un ensemble ou chez un individu. Or, la transe de possession s'apparente à ce phénomène de dissociation qui atteint directement l'intégrité de la personne dans sa psychophysiologie puis, en un deuxième temps, peut entraîner un lien spécifique - la catégorie du « Entre » qui enchaîne et qui sépare - un lien spécifique vraiment capable de nous déshumaniser. Cette déshumanisation au sens fort du terme s'apparente à une expérience de possession.


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IV. L'EXALTATION DE L'ANTICHRIST

      Les deux textes choisis des groupes Lordi et Manson, auxquels nous faisions référence plus haut, sont très représentatifs d'un certain esprit qui aujourd'hui se répand très progressivement dans la culture en général, et en particulier, la « culture jeune ». Cet esprit s'apparente quelque peu à ce que le Nouveau Testament traduit dans l'expression « mystère de l'iniquité » (2 Th 2, 7) que l'on peut aussi entendre par « mystère de l'impiété » à l'oeuvre dans le monde.

      Les paroles du chanteur Marilyn Manson citées plus haut, considérées isolément, correspondent purement et simplement à une certaine forme de blasphème. Or, la musique et le texte sont une chose, la production d'un album discographique en est une autre, mais la mise en scène de l'album, lors de tournées mondiales, à l'occasion de concerts géants est un phénomène qui dépasse littéralement la seule provocation verbale.

      Des statistiques très récentes accréditent le nombre exorbitant de cinq cents millions d'admirateurs, de fans de Marilyn Manson qui accourent à ses concerts sur les cinq continents sinon à connaître l'ensemble de ses oeuvres (CD, DVD, et autres produits dérivés, ainsi que des centaines de sites internet). Des foules entières découvrent ainsi le leader du groupe Manson revêtu d'une soutane et d'une étole blanches, coiffé d'une mitre, vociférant quantité d'hymnes à l'encontre du Nazaréen et sur la mort du Pape... ou encore, tout de noir vêtu, figurant la présence de l'Antichrist au milieu de ses fidèles. Le phénomène n'est pas seulement anglo-saxon, mais il est, lui aussi, mondialisé à l'image de notre univers économique et politique, mondialisé à travers des concertes donnés dans un grand nombre de mégalopoles de la planète, de Londres à Tokyo, de New York à Helsinki, en passant par Barcelone, Vienne, Varsovie ou Milan, pour n'en citer que quelques unes...


      Celui qui aurait l'occasion d'assister à l'un de ces spectacles géants, à ce gigantesque opéra rock - comme ce fut mon cas - peut n'éprouver aucune difficulté d'interprétation face à la présence d'éventuels messages subliminaux et autres sous-entendus hermétiques, désormais absents de la scène actuelle. Le temps des rassemblements de Woodstock et de l'île de White est révolu pour laisser place aux expressions numériques en temps réel qui caractérisent la tendance culturelle de ces dernières années. Ces mêmes expressions sont aujourd'hui clairement explicites, à l'image de cet esprit auquel nous faisions allusion précédemment - « esprit d'impiété » et « esprit d'iniquité » qui, lui aussi, va toujours grandissant, spécialement depuis ces dernières décennies.


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QUELLE IDENTITÉ POUR « L'ESPRIT D'INIQUITÉ » ?

      Une lecture johannique d'une fraction importante de la culture d'aujourd'hui et plus encore de la « culture jeune », nous laisse à penser que cet esprit, à l'oeuvre depuis le début de la période historique, ne cesse de se radicaliser au point que nous pourrions adopter une deuxième lecture, celle paulinienne, quant à l'avènement personnel de l'Antichrist, en particulier lorsque saint Paul déclare aux chrétiens de Thessalonique que rien n'arrivera « si l'apostasie n'est pas venue d'abord, et que ne s'est pas révélé l'homme de l'iniquité, le fils de la perdition » (2 Th 2, 3-4).

      Loin de nous de considérer cette prophétie comme étant sur le point de s'accomplir encore moins à travers tel ou tel individu, fut-il l'Antichrist en personne. En revanche, qu'il nous soit permis de collaborer à ce que le Christ demande à l'Église quant à la lecture des « signes des temps ». À ce propos, l'un des signes en question, qui n'est plus à démontrer aujourd'hui, concerne probablement cette « apostasie silencieuse » (Expression reprise à partir d'une intervention du cardinal Pierre EYT qui parlait d'une « apostasie tranquille » à propos du même contexte, toujours dans le même Synode. JEAN-PAUL II, Synode pour l'Europe, sept/oct. 1999; Pierre cardinal EYT, Travaux synodaux, sept/oct. 1999.) à laquelle nous faisions référence précédemment, apostasie toujours grandissante et dont le pape Jean-Paul II soulignait déjà l'importance à l'occasion du dernier Synode de l'Europe.


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LE TEMPS DE L'APOSTASIE ?

      L'apostasie dont parle Paul figure aujourd'hui plus que jamais dans le contexte culturel qui nous préoccupe. Combien de textes, de chansons et de scenarii en font l'apologie!

      Si le premier millénaire historique vit apparaître et se déployer très largement l'Église du Christ, cette époque fut aussi marquée, comme autant de blessures, par un grand nombre d'hérésies en particulier christologiques et trinitaires. Le millénaire suivant quant à lui fut le temps de la maturité de l'Église mais aussi de nombreux schismes entre d'abord les Églises d'Orient et d'Occident puis avec les Réformés, mais aussi avec l'apparition d'une quantité considérable de sectes et de sociétés secrètes. Mircea Eliade parlait à ce propos « d'une explosion de l'occultisme » (ÉLIADE M., Occultisme, sorcellerie et modes culturelles, Gallimard, NRF, Paris, 1978) caractérisant la deuxième moitié du XXè siècle. À l'aube de ce troisième millénaire, nous pourrions nous demander s'il n'y a pas un risque grandissant d'apostasie au coeur de ce monde...


      Comme son nom l'indique, l'apostasie est un « reniement », un « renoncement » volontaire de la foi. Nous pourrions affirmer qu'il existe aujourd'hui une sorte de « culture de l'apostasie » au travers de ce que, par exemple, nous énoncions précédemment. L'Église connut des temps très difficiles au commencement du IVè siècle à travers la crise de l'arianisme en particulier, mais à pareille époque, et pour cause, la jeunesse n'avait pas à sa disposition les moyens médiatiques actuels.


      Aujourd'hui, nous sommes témoins, dans un grand nombre d'établissements scolaires d'une surenchère des jeux de cartes Pokémon, Yu-Gi-Ho et Magic faisant la promotion de la magie noire pour le moins. Ce sont aussi, plus spécialement dans les lycées, des jeux de rôles et jeux vidéos sur le satanisme et l'occultisme et enfin, ces différents genres musicaux tels que le gothic, le metal et autres variantes. De plus, l'accessibilité - par le biais d'internet - à de nombreux sites promouvant les messes noires et quantité de rituels sataniques durcissent encore une tendance qui ne peut qu'encourager l'apostasie en question.


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ACTUALITÉ D'UN CULTE DE L'ANTICHRIST

      Le culte de l'Antichrist occupte aujourd'hui une part toujours plus importante de la scène sataniste à travers quantité d'essais et une filmographie ainsi qu'une discographie des plus profitables. Dans la mouvance de Rosemary's Baby, ce sont en particulier, pour les plus connus d'entre eux, les cinq films The Omens, La Malédiciton 666, L'Associé du diable et Le Purificateur qui retracent les principaux épisodes des agissements de l'Antichrist parmi les hommes. Les intrigues de ces derniers films se concentrent sur la ville de Rome et la Cité du Vatican en présence de l'Antichrist qui ne cesse de promouvoir meurtres et intrigues sordides, afin d'obtenir les pleins pouvoirs au coeur de la politique internationale et sur l'Église catholique en particulier.

      La grande théosophe Alice Ann Bailey, au coeur des années trente, encourageait déjà ses pairs à procéder quotidiennement à « la grande évocation » que l'on peut comprendre comme une évocation spirite à l'intention de l'Antichrist. Cette « évocation » paraissait alors dans la plupart de ses livres publiés par les éditions de la Lucis Trust.

      De nos jours, on ne compte plus les courants magiques et spirites et bien sûr satanistes, donnant une très large part à l'édification d'une « contre Église ». De nombreux ésotéristes soutiennent la présence physique de ce même Antichrist dans le monde actuel, présence certes cachée mais néanmoins active, en particulier dans les villes de Jérusalem, Rome et Londres. (Cf. par exemple les propos de David TIBET, leader du groupe de musique avant-gardiste, Current 93, in « Le retour du roi », revue gothic Elegy, n°42, juin/juillet 2006, p. 90-91. Cf. également les paroles des albums Dogs Blood Rising ou Lucifer Over London du même groupe.)


      Néanmoins, et quoi qu'il en soit de la gravité de ce que nous pourrions jamais écrire à ce sujet, nous n'hésitons pas, à la suite de Pierre apôtre, de considérer l'époque actuelle comme un temps de grâce et de conversion: « Le Seigneur ne retarde pas l'accomplissement de ce qu'il a promis, comme certains l'accusent de retard, mais il use de patience envers (nous), voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir » (2 P 3, 9).


      Ces dernières années, il m'a été donné de traduire et de commenter une quantité considérable de textes, d'évocations et de pactes opérés par différentes écoles satanistes. Ce faisant, je m'aperçus très tôt que l'essentiel de ces textes ne se référaient jamais qu'aux vingt premiers chapitres sur les vingt-deux que compte le livre de l'Apocalypse selon saint Jean. De fait, la quasi totalité de ces textes ne sont qu'une suite d'exaltations de la chute de Babylone et ainsi que deux ultimes combats eschatologiques, passant sous silence les deux premiers chapitres sur la Jérusalem céleste. Suivant les mêmes principes, les liturgies de type « messe noire » se fondent essentiellement sur la « Sainte Cène » et l'agonie de Jésus sans aucune référence à la résurrection, ce qui, bien sûr, correspond à ce que nous pouvons connaître de l'idéologie sataniste. Or, saint Jean lui-même, d'une certaine manière, explique et met en garde quiconque serait tenté de falsifier - ou de « retrancher des paroles de ce livre » sous peine de voir se retourner contre lui « tous les fléaux décrits dans ce livre! » (Ap 22, 18-19).

      Une fois encore nous pouvons constater que seule l'acception de la totalité de l'Écriture - le canon des Écritures - est en mesure de participer à notre salut que la vertu théologale de la foi nous accorde à travers la mort et la résurrection de Jésus. Pas seulement la mort, ni seulement la résurrection mais un seul mystère à travers les deux étapes de la Rédemption, ce que dénie fondamentalement l'idéologie sataniste.


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CONCLUSION ET OUVERTURE: L'APPEL À L'ESPRIT SAINT

      Nous voudrions de nouveau faire allusion à cette catégorie de « Entre », caractérisant en particulier l'action du démon en tant qu'il sépare, désunit, désintègre, dans son mode habituel de fonctionnement. Or, cette catégorie du « Entre » nous rend par ailleurs un autre service parallèle. « Elle permet de mieux éclairer ce qui se présente comme une contre-puissance qui n'est autre que le Saint-Esprit ». Nous pourrions dire à ce propos que le Saint-Esprit est cet « Entre » dans lequel le Père et le Fils sont un, comme étant un et même Dieu. C'est dans la force de ce « Entre » que le Christ va à la rencontre du « Entre » démoniaque qui partout se tient prêt à intervenir et entrave l'unité ». (Joseph Cardinal Ratzinger, op. cit., p. 450)


      Finalement, la seule réponse que l'on peut donner, face aux défis du satanisme, qu'il soit pratique ou culturel, est certainement celle que l'Église promeut depuis déjà près de deux mille ans et que nous devons continuer de propager plus que jamais. Cette réponse est la Personne du Saint-Esprit, l'Esprit de Pentecôte qui agit à l'encontre de l'esprit de Babel lorsque les hommes voulurent atteindre le ciel à partir de leurs propres forces. Le satanisme correspond certainement à cette volonté de puissance qui voudrait s'affranchir une fois de plus de ce qui ne peut faire l'objet que d'une grâce et non d'une conquête. Cette grâce correspond certainement à ce que chante le Veni Sancte Spiritus, grâce que nous voulons faire nôtre pour répondre de façon décisive aux ambitions actuelles de « l'esprit d'iniquité » à l'oeuvre dans le monde. Nous savons que le Christ a déjà vaincu le monde:

« Viens Esprit Saint en nos coeurs [...]
Lave ce qui est souillé
Baigne ce qui est aride
Guéris ce qui est blessé
Assouplis ce qui est raide [...]
Donne le salut final
Donne la joie éternelle. »



SECRÉTARIAT GÉNÉRAL DE LA CONFÉRENCE DES ÉVÊQUES DE FRANCE
http://www.cef.fr      


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